James Burgess finissait de fermer les volets du premier étage lorsque les chiens aboyèrent. Il se courba pour passer la tête sous la fenêtre à guillotine, scrutant l’obscurité. Mais les chiens étaient de l’autre côté de la maison, probablement sur le chemin qui descendait à travers bois jusqu’au potager.
James Burgess resta quelques secondes penché à l’extérieur. Un léger brouillard montait de la pièce d’eau, à cinquante mètres de là, et commençait à se répandre sous les arbres dont les feuilles humides luisaient sous la lumière délicate de la lune. Il faisait froid. James Burgess frissonna, ferma les volets, puis la fenêtre. Les chiens continuaient d’aboyer.
Il rejoignit le couloir qui desservait les chambres, puis descendit par le grand escalier jusque dans le hall, éteignant les lampes derrière lui. Il vérifia une dernière fois le verrouillage du rideau de fer qui fermait la grande porte. Il n’avait pas peur, mais il se sentait vaguement inquiet, mal à l’aise. Il pensa qu’il avait trop bu, trop mangé, trop fumé, comme chaque fois que son patron n’était pas là. L’angoisse et l’indigestion ont des symptômes communs qui se peuvent confondre.
Il descendit au sous-sol, pénétra dans la chaufferie et baissa de plusieurs crans le thermostat de la chaudière. Il continua par le couloir central, passa devant la porte métallique du laboratoire, jeta un coup d’œil dans la cave, puis dans la fruiterie, et remonta de l’autre côté, dans la partie de la maison réservée au service.
Dans la cuisine, Paméla Doss avait fini d’essuyer la vaisselle.
— Qu’est-ce qu’ils ont, ces chiens, à hurler comme ça ? demanda-t-elle.
Appuyé de l’épaule au chambranle, James Burgess ne répondit pas. Il regardait la jeune fille, une jolie rousse de vingt ans, avec le teint rose et un petit nez retroussé taché de son, bien en chair, un peu forte de poitrine et de fesse mais sans rien de prohibitif. James Burgess, qui avait la cinquantaine, aurait pu être son père ; mais les sentiments qu’elle lui inspirait n’avaient rien de vraiment paternel.
— Vous ne les entendez pas ? insista-t-elle.
— Si, bien sûr.
Il entra dans la cuisine, aida la jeune fille à ranger la vaisselle.
— Peut-être des voleurs qui traînent dans le parc.
Paméla faillit laisser tomber un verre.
— Idiot ! vous voulez me faire peur.
— Il ne faut pas avoir peur. Le vieux James est là pour vous protéger.
Il vint derrière elle et lui mit la main sur l’épaule.
— Pas vrai ?
Il essayait de faire le joli cœur et minaudait un peu. Sa main glissa, descendit, épousa un bref instant la courbe d’un fesse rebondie. Paméla répliqua d’un coup de coude dans les côtes, bien ajusté, et fit un pas de côté en pivotant sur elle-même pour se dégager.
— Ne vous excitez pas, dit-elle. À votre âge, c’est toujours dangereux.
Le souffle coupé par la douleur, il ne put rien répondre. Elle sortit de la cuisine en riant. Un rire haut perché, insultant, qui fit grincer des dents à James Burgess…
*
* *
Jonas, allongé sur le mur d’enceinte du potager, écoutait les chiens aboyer. Il sortit d’une poche de son blouson de cuir un sifflet à ultrasons et le porta à ses lèvres. Les aboiements cessèrent. Jonas se souleva légèrement, l’oreille tendue. Des nappes de brume traînaient comme des écharpes au ras du sol, s’effilochant sur les cordons d’arbres fruitiers. Au-delà, au pied du bois qui formait une masse sombre, les toits de verre des serres réfléchissaient le clair de lune.
Les chiens aboyèrent de nouveau et Jonas se rendit compte qu’ils étaient toujours au même endroit. Il en déduisit que la porte du potager était fermée et qu’ils ne pouvaient y pénétrer. Il remit le sifflet dans sa poche, assujettit ses mains gantées sur l’arête du mur et se laissa glisser.
Il cassa quelques branches d’un poirier en espalier et ses pieds s’enfoncèrent dans la terre meuble. Il sauta sur le chemin et sortit son couteau de commando.
Les chiens avaient dû l’entendre et leurs aboiements redoublaient. Jonas jura entre ses dents. Tout ce vacarme allait sûrement alerter le valet de chambre et la cuisinière qui devaient être les seuls occupants de « Squarrels Lodge » cette nuit-là. Il se dépêcha de traverser le jardin, se laissant guider par la voix rageuse des chiens.
Ils étaient là, de l’autre côté de la porte de fer, menant grand tapage, flairant le seuil, sautant après le mur. Jonas fit passer devant lui la musette qu’il portait en bandoulière et en sortit deux petits paquets enveloppés de papier journal, qui contenaient chacun un vagin de chienne empoisonné. Il en balança un par-dessus le mur. Les chiens se ruèrent. Jonas eut l’impression qu’ils se battaient. Il entendit des gémissements, de brefs jappements, puis un court silence et le halètement d’une bête, d’une seule bête. Jonas balança le second paquet, écouta : le papier furieusement déchiré, les gémissements du chien affolé par l’odeur…
Puis, le silence. Un silence extraordinaire.
Son poignard dans la main droite, Jonas tourna de l’autre main le bouton de la porte et tira vers lui le battant qui pivota en grinçant. Rien ne se produisit. Jonas ouvrit en grand et passa de l’autre côté. Les chiens, deux admirables loups autrichiens au pelage blanc, gisaient dans l’herbe au milieu des morceaux de papier journal déchiqueté. Jonas les poussa du pied, constata qu’ils étaient bien morts et soupira, la gorge serrée. Il était capable de tuer un homme, voire une femme, sans éprouver la moindre émotion. Mais, un chien, cela lui faisait toujours quelque chose.
Il s’éloigna, longeant de vieilles serres désaffectées, aux vitres brisées. Un peu plus loin, une odeur chaude de fumier de cheval lui emplit les narines. Il se souvint de la ferme paternelle, près de Kottbus, avant la guerre…
Il trouva sans difficulté le chemin qui s’élevait en lacets dans le bois jusqu’à la maison bâtie sur un coteau. Il marchait sans bruit. Bien que l’on fût au milieu de l’automne, les feuilles des arbres n’étaient pas encore toutes tombées et le clair de lune ne pénétrait pas dans le sous-bois. Jonas avançait, un bras tendu devant lui pour se protéger le visage. De temps à autre, le brusque changement de consistance du sol l’avertissait qu’il sortait du chemin sur lequel il revenait aussitôt.
Il lui fallut cinq minutes pour arriver sur le terre-plein qui cernait la maison. Il s’arrêta pour regarder. C’était une grande bâtisse en bois de style colonial, peinte en blanc avec un toit d’ardoise noire, flanquée d’une véranda ouverte sur la vallée. Pas de lumière.
Une chouette hulula dans les bois, au-delà de la maison. Jonas tourna la tête dans cette direction. Le brouillard qui flottait au-dessus de la pièce d’eau retint quelques secondes son attention. Puis, il entreprit de contourner le terre-plein, restant dans l’ombre protectrice des arbres.
Il avait étudié un plan de la construction et la connaissait par cœur. Il savait que le bâtiment principal était prolongé de l’autre côté par vin appendice de même style, mais de format plus réduit où se trouvaient toutes les pièces de service : cuisine, office, réserve, lingerie au rez-de-chaussée ; chambres des domestiques à l’étage. En bas et en haut, des portes dans les couloirs centraux séparaient l’habitation des maîtres de celle des employés.
Il traversa l’allée carrossable qui s’enfonçait dans le bois pour rejoindre la route à un kilomètre de là. Des aiguilles de pin craquaient sous ses pas. Un oiseau, brusquement réveillé, s’envola dans un grand bruit d’ailes. Surpris, Jonas s’immobilisa un instant, le cœur battant. Puis, il continua parallèlement à la maison et aperçut bientôt de la lumière à travers les fentes des volets de deux fenêtres, à l’étage des domestiques.
La chouette hulula de nouveau. La nappe de brouillard dont la pièce d’eau accouchait lentement s’allongeait sur la cour, affectant des formes bizarres et mouvantes que le clair de lune rendait phosphorescentes.
Jonas longea la haie d’épines qui cernait à demi le chenil aux portes grandes ouvertes et franchit l’allée cavalière qui menait aux écuries, éloignées de deux cents mètres environ. Il était maintenant arrivé à l’autre bout de la maison et son regard découvrait une perspective nouvelle sur la vallée scintillante de mille lumières.
Jonas s’arrêta dans l’ombre d’un Douglas. La lune éclairait directement le pignon de la maison, devant lui, et il distinguait avec netteté la porte de service, la fenêtre du couloir de l’étage, au-dessus, une vieille pompe à roue, près de la porte, et tout à côté une sorte d’abri qui pouvait être une niche à chien ou une remise à bidons.
Un avion passa. Jonas leva la tête, suivit pendant quelques secondes la fuite des feux clignotants, blanc, vert et rouge. Puis, il reprit son mouvement autour de la maison, à découvert cette fois car rien ne pouvait plus le protéger, et arriva au pied de la véranda qui s’allongeait d’un bout à l’autre de l’habitation des maîtres.
Il passa devant, sa main gauche effleurant les aucubas qui bordaient les fondations de pierre de la terrasse, puis escalada les marches du perron central.
Une lame de parquet craqua sous son poids. Il évita un rocking-chair en rotin et marcha sans hésiter vers la porte-fenêtre qui lui avait été indiquée…
*
* *
James Burgess éteignit la lumière dans sa chambre puis ouvrit lentement la porte sur le couloir obscur. Il avait entendu Paméla se rendre dans la salle de bains que Sir Edward, le maître des lieux, avait fait aménager quelques années plus tôt pour ses domestiques.
Il avança la tête dans l’entrebâillement et attendit que Paméla eût ouvert en grand les robinets de la baignoire. Les lames du parquet craquaient dans le couloir et le gros James préférait que le bruit de l’eau couvrît son approche.
Il s’était aspergé d’eau de Cologne et avait revêtu une vieille robe de chambre en foulard bleu marine à pois blancs qui avait connu des jours meilleurs sur le dos de Sir Edward. Il était pieds nus.
Il atteignit sans encombre la porte de la salle de bains, se courba péniblement, gêné par son ventre, pour regarder par le trou de la serrure…
La stupéfaction lui fit ouvrir la bouche et il sentit le rouge de la colère lui monter au visage. Il s’était donné beaucoup de mal pour ôter discrètement le cache-entrée qui se trouvait à l’intérieur, mais Paméla avait dû s’en apercevoir et suspendre quelque chose à la poignée, probablement une serviette, réduisant ainsi du même coup à néant les espoirs du valet de chambre.
Il se redressa péniblement, une main sur les reins et chercha aussitôt le moyen de se venger de ce qu’il n’était pas loin de considérer comme une brimade injustifiée…
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* *
Au même instant, un grand Baluba qui répondait au prénom de Patrice se hissait en souplesse sur le mur du potager, à peu près à l’endroit que Jonas avait franchi dix minutes plus tôt. Patrice était un homme magnifique, haut de un mètre quatre-vingt-dix et lourd de quatre-vingt-cinq kilos, doué d’une force herculéenne. Il portait un blouson de cuir marron, doublé de fourrure, et ses mains étaient protégées par des gants épais.
Il se laissa tomber dans le jardin, écouta, immobile pendant quelques secondes, puis se mit à marcher, suivant exactement le même chemin que Jonas avait suivi.
Il trouva la porte de fer ouverte et, de l’autre côté, les cadavres des deux loups autrichiens dont le pelage blanc maintenant couvert de rosée luisait étrangement sous le clair de lune.
Patrice regarda longuement les bêtes mortes et se demanda qui avait pu faire ça, le privant du plaisir de les étrangler avec ses mains, toutes les deux en même temps, et pourquoi ?
Les deux questions restèrent sans réponse. Patrice imagina seulement qu’un braconnier pouvait être responsable de ce double meurtre et qu’un braconnier ne représentait pas un grand danger à moins qu’il ne butât sur lui. Il passa devant les serres désaffectées, huma l’odeur forte du fumier qui lui rappela son village natal au Katanga, et s’engagea dans le chemin qui s’élevait en lacets à travers le bois jusqu’au terre-plein qui supportait la maison…
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* *
Les volets ouverts, Jonas sortit de sa musette un diamant de vitrier et une ventouse de caoutchouc munie d’un crochet, achetée chez un marchand d’articles ménagers. Il appliqua la ventouse sur l’un des carreaux les plus proches de la poignée intérieure et traça autour, avec la pointe du diamant, un cercle d’environ vingt centimètres de diamètre. Il remit le diamant dans la musette, saisit le crochet de la ventouse entre les doigts de sa main gauche et donna un coup sec de l’autre main. Il ramena le morceau de verre et le posa contre le mur après avoir récupéré sa ventouse. Puis il engagea son bras dans le trou, trouva sans difficulté la poignée et ouvrit la porte-fenêtre. Il entra et referma derrière lui les volets et la fenêtre.
Tout était silencieux. Il alluma une petite lampe de poche et en promena lentement le faisceau autour de lui. Il était dans le hall, meublé en pièce de réception. À gauche, la salle à manger, l’entrée du couloir central, puis un bureau. En face, l’entrée principale, avec un grand vestibule vitré garni de plantes vertes, à droite, toujours en tournant, un grand escalier montant à l’étage et le grand salon. Sous l’escalier, une porte donnant accès à un grand cabinet de toilette, et un autre escalier descendant au sous-sol.
Tout était bien tel que Jonas l’avait imaginé d’après les descriptions qui lui en avaient été faites. Il regarda les meubles Chippendale, les trophées de chasse, les gravures anglaises, la cheminée monumentale de style Renaissance mais probablement en stuc. Il traversa lentement le hall, sans bruit, s’engagea sous le grand escalier et ouvrit la porte pour descendre dans les caves.
Les sous-sols, solidement construits en pierre de taille, s’étendaient sous toute la maison, communs compris. Jonas découvrit sans grand-peine l’arrivée du téléphone, sortit des pinces de sa musette et coupa le câble. Ses gestes étaient précis et il ne donnait aucun signe de nervosité. Il agissait exactement comme un honnête ouvrier effectuant une tâche de tous les jours.
Le brusque déclenchement du brûleur de la chaudière à mazout le fit sursauter. Mais il comprit immédiatement de quoi il s’agissait et profita du bruit pour marcher sans plus de précautions dans le couloir jusqu’à la porte métallique du laboratoire. Il en possédait la clé…
*
* *
James Burgess tenait son idée. Il revint dans sa chambre, prit une chaise et une lampe de poche qu’il alluma, transporta le tout au bout du couloir sous le tableau des fusibles de cette partie de l’étage. Il monta sur la chaise, éclaira le tableau, arracha le plomb étiqueté « salle de bains ».
Il entendit l’exclamation furieuse de Paméla, descendit de la chaise et regagna prestement sa chambre dont il repoussa la porte sans la fermer tout à fait. Quelques instants plus tard, il entendit la voix de Paméla qui appelait :
— James !… James !
Il éteignit sa lampe et rouvrit sa porte.
— Je suis là ! cria-t-il.
— Qu’est-ce qui se passe ? C’est une panne ?
— Sûrement. Vous n’avez plus de lumière non plus ?
— Non.
— Il faut attendre, ça va revenir.
Un bref silence, puis :
— James !
— Oui ?
— Je ne peux pas attendre… Apportez-moi une lampe.
— Bon ! Si j’en trouve une…
Il fit semblant de marcher bruyamment, de se cogner aux murs, jura, continua cette comédie pendant près d’une minute, puis revint dans le couloir avec sa lampe rallumée.
— Voilà ! cria-t-il. On peut entrer ?
— Non ! lança la jeune fille. Posez-la devant la porte et retournez dans votre chambre.
— Comme vous voudrez.
Il posa la lampe allumée sur le parquet, s’éloigna, claqua la porte de sa chambre en la tirant vers lui et revint très vite. Quelques secondes passèrent. Il entendit le verrou glisser, vit la poignée tourner, la porte s’entrebâiller. Un bras nu apparut presque au ras du sol, une main ouverte avança vers la lampe…
D’un coup de pied, James expédia la lampe à l’autre bout du couloir. Paméla hurla. Il poussa le battant et fonça. Paméla, qui se redressait, lui donna un coup de tête dans l’estomac. Il serra les dents pour surmonter la douleur, saisit la jeune fille à pleins bras, la trouva toute mouillée car l’obscurité l’avait surprise alors qu’elle sortait du bain pour se sécher.
— Mon petit lapin, bredouilla-t-il. Mon petit lapin… Tu vas être bien mignonne avec le vieux James…
Elle lui échappa. Il la rattrapa au bord de la baignoire. Une vague clarté leur parvenait du couloir.
— Mon petit lapin… Sois mignonne avec le vieux James…
Elle le griffa au visage. Il se rejeta en arrière pour dérober ses yeux ; trop brusquement, ses pieds nus dérapèrent sur le linoléum mouillé. Il partit en arrière, lâcha Paméla pour essayer de se rattraper et s’écroula dans la baignoire. Cela fit un grand plouf et il y eut un énorme jaillissement d’eau. À demi assommé, James Burgess entendit la fuite rapide de la jeune fille, puis une porte claquer avec violence, enfin une clé tourner dans une serrure. Il comprit que la conquête de Paméla était définitivement compromise, au moins pour cette nuit-là et il entreprit de se remettre sur ses pieds, ce qui s’avéra beaucoup plus difficile qu’il ne l’avait pensé tout d’abord.
Il avait encaissé un choc violent dans le dos et il souffrait terriblement. Tout en gémissant, il se défit péniblement de sa robe de chambre dégoulinante d’eau, trouva une serviette et commença de s’éponger…
*
* *
À peu près au même instant, un petit homme jaune aux yeux bridés, svelte et d’une grande agilité, s’allongea sur le mur d’enceinte du potager, à l’endroit même où étaient passés avant lui Jonas, l’ex-Allemand, et Patrice, le Baluba.
Comme les deux précédents, le petit homme jaune, que certaines personnes connaissaient sous le pseudonyme de Charlie, resta pendant un certain temps sur le faîte, écoutant et scrutant les allées et les plates-bandes faiblement éclairées par la lune.
Finalement, il changea de position pour se retrouver assis, sortit des poches de sa veste de cuir un automatique de fort calibre et un silencieux, vissa celui-ci au bout du canon de celui-là. Après quoi, l’arme au poing, il se laissa tomber à l’intérieur du jardin, cassant quelques branches de plus au malheureux poirier planté là.
Charlie traversa ensuite le potager, souple et silencieux comme un chat sauvage auquel il s’apparentait par l’élégance délicate, presque féminine, de certains de ses gestes. Il trouva la porte de fer ouverte et les deux cadavres des loups autrichiens dont le pelage blanc était maintenant trempé de rosée.
Cette découverte le laissa perplexe, mais il n’en tira aucune conclusion. Il continua le long des serres désaffectées, renifla l’odeur du fumier qui lui rappela son village natal de la plaine des Joncs et s’engagea dans le chemin qui s’élevait en lacets dans le sous-bois jusqu’au terre-plein qui supportait la maison…
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* *
Patrice tira vers lui les volets de la porte-fenêtre dont l’ouverture avait été vraiment d’une facilité dérisoire. Sa main gantée avança pour tâter le carreau et passa dans le trou fait par Jonas. Patrice cessa de respirer et les battements de son cœur s’accélérèrent. Les chiens morts, la porte forcée, cela commençait à faire beaucoup…
Il recula d’un pas, puis de deux et découvrit la surface ronde et brillante d’un morceau de vitre enlevé. Il en déduisit tout naturellement que l’opération était récente et aboutit très vite à cette conclusion que la chose importante était de savoir si celui qui l’avait précédé se trouvait encore ou non dans la maison. Il y avait à ce problème deux solutions possibles : soit attendre sous la véranda le retour éventuel du prédécesseur, soit pénétrer dans la maison pour aller voir. Patrice opta pour la seconde. Il n’aimait pas attendre, à moins que ce ne fût par trente degrés à l’ombre, et l’humidité glacée de cette nuit d’automne britannique ne lui était pas bonne.
Il sortit de son holster d’épaule, un automatique de calibre 38 à canon court et vissa sur celui-ci un silencieux. Après quoi, il entra, tira les volets, referma la porte-fenêtre et marqua dans le noir un temps d’écoute.
Rassuré, il alluma brièvement sa lampe de poche, repéra les positions des meubles dans le vaste hall, éteignit et prit à tâtons la direction de l’escalier.
Il ralluma, le temps de trouver la porte qui commandait l’accès du sous-sol et descendit dans le noir en se guidant de sa main armée glissant sur la rampe. Il arriva en bas sans ennuis et, définitivement rassuré par l’obscurité et par le silence, s’éclaira de nouveau.
Il ne fut pas tellement surpris de constater que le câble d’arrivée du téléphone était déjà coupé. Il tourna les talons et marcha dans le couloir jusqu’à la porte métallique du laboratoire. Il en possédait la clé et il se disposait à la pousser dans le trou de la serrure lorsqu’un bruit tout à fait insolite et provenant indiscutablement de l’autre côté du battant le fit interrompre son geste. Il éteignit sa lampe et pivota sur lui-même en se déplaçant à droite pour se retrouver le dos au mur, le cœur battant la chamade, son arme braquée vers la porte…