Le jour déclinait rapidement. Une pluie fine s’était mise à tomber et un vent chaud soufflait du sud, chargé d’odeurs indéfinissables. Deux des bateaux qui font le service des îles cognaient de la proue contre l’embarcadère ; un peu plus loin, à droite, tout un bataillon de gondoles sans gondoliers dansait bruyamment sur les eaux agitées du bassin.
Adossé au mur du Danièli, Stéfano Vasari constata soudain qu’il ne pouvait même plus ; distinguer les contours de San Giorgo Maggiore. A gauche, le phare d’un motoscafi qui revenait du Lido suivait la ligne éclairée des balises ; à droite, les feux multicolores de deux unités de guerre américaines en visite brillaient assez haut dans le ciel, à l’entrée du canal Della Giudecca.
Un étranger romantique aurait sans doute pleinement apprécié cette image de Venise sans touristes, en plein hiver. Mais, Stéfano Vasari était né dans la capitale des Doges et y avait toujours vécu ; et son esprit n’avait rien de romantique.
C’était un grand gaillard de un mètre quatre-vingt-dix, taillé comme un hercule, qui portait avec assurance sur des épaules étonnamment larges une tête énorme, piquée de deux petits yeux noirs très rapprochés et marquée d’un nombre respectable de cicatrices.
Stéfano Vasari n’était pas un intellectuel. Il n’en était pas moins doué d’un solide bon sens et d’un certain nombre d’autres qualités non négligeables.
Il retroussa la manche de son imperméable et consulta le cadran lumineux de sa montre-bracelet : cinq heures. Près de trois quarts d’heure, déjà, qu’il faisait le pied de grue sur ce quai, dans la pluie et dans le vent. Il se demanda ce que faisait la Comtesse, et si elle se tenait correctement.
Stéfano Vasari, qui avait quarante-six ans, connaissait la Comtesse Christina depuis le jour où elle avait épousé le Comte, quelques mois avant la guerre. Les Vasari étaient de père en fils au service des Comtes Della Dorsoduro depuis un temps immémorial. Stéfano se rappelait, comme si cela datait de la veille, l’arrivée de la nouvelle Comtesse au « Palazzetto ». Beaucoup d’eau avait coulé dans le Grand Canal depuis ce jour-là, bien des événements étaient survenus et la Comtesse Christina avait beaucoup changé…
Stéfano soupira. Il avait le cœur lourd et triste.
Maintenant, ils n’étaient plus que quatre dans le « Palazzetto » : la Comtesse Christina, Maria Vasari, Stéfano Vasari et Luigi Vasari, le bambino. Maria faisait la cuisine et le ménage ; Stéfano avait la triple charge de maître d’hôtel, de gondolier et de garde du corps. Quant à Luigi, le bambino, il allait à l’école et se montrait le moins possible… La Comtesse Christina n’aimait pas les enfants ; ou, plus exactement, elle n’aimait pas les voir. Cela lui rappelait trop de choses qu’elle aurait voulu oublier…
Un drame atroce ! Vraiment.
Stéfano alluma une cigarette en préservant la flamme de son briquet entre ses mains placées en conque. Une rafale de vent lui envoyait la pluie dans le visage. Il remonta le col de son imperméable et tira sur le bord baissé de son chapeau de feutre noir. Puis, les mains aux poches, il se décolla du mur et se mit à marcher lentement devant la façade de l’hôtel, essayant de voir ce qui se passait de l’autre côté des petits carreaux multicolores enchâssés de plomb…
La Comtesse Christina était dans le bar, assise derrière une table d’angle, avec un service à thé devant elle. Mais Stéfano doutait qu’il y eût réellement du thé dans la tasse. Stéfano voyait la jeune femme à travers un losange de verre rouge qui la faisait paraître encore plus belle et plus inquiétante…
Car la Comtesse Christina était belle, merveilleusement belle… Beaucoup de gens disaient qu’elle ressemblait à la grande star américaine Ava Gardner. C’était vrai. Elle en avait l’allure féline, le corps souple, le regard langoureux et cette féminité exacerbée qui fait commettre des folies aux hommes les plus sensés…
Mais, parfois, cette femme merveilleuse se transformait en furie… Ou bien elle se mettait à parler, à parler… alors que le prix du silence était pour elle inestimable. Dans les deux cas, Stéfano n’hésitait jamais à intervenir. Mais, en son for intérieur, il se demandait souvent comment tout cela finirait. Et il était convaincu que cela finirait mal.
Très mal.
Et, une fois de plus, la Comtesse Christina parlait ; et ses efforts pour dissimuler l’éclat de son regard et son excitation sous ses paupières baissées et un masque d’apparente impassibilité ne pouvaient tromper Stéfano. « Elle pique encore sa crise… », pensa-t-il avec résignation.
Il pencha la tête de côté et découvrit l’interlocuteur. C’était un homme entre deux âges, du genre bellâtre, avec des cheveux gris soigneusement ondulés et un œillet rouge à la boutonnière. Stéfano l’avait déjà vu rôder plusieurs fois autour de la jeune femme ; il avait l’air d’un fauve à l’affût…
Stéfano se retourna. Une rafale de vent chargée de pluie le gifla mollement. Il jeta sa cigarette sur les dalles trempées et marcha vers la porte de l’hôtel.
Le hall était désert. Quel contraste avec l’animation de la saison… Stéfano gagna le bar et s’immobilisa sur le seuil. Il lui sembla que le barman le voyait arriver avec soulagement.
Il n’y avait pas d’autres clients. Stéfano se dirigea vers sa maîtresse qui cessa brusquement de parler en l’apercevant. Il lança un coup d’œil vers l’homme à l’œillet rouge, qui le considérait avec ironie, puis regarda la jeune femme bien en face et dit :
— Il est temps de rentrer, Signora.
Elle le foudroya du regard et ses jolies lèvres se pincèrent. Puis, elle se mit à l’injurier, très bas, espérant qu’il ferait demi-tour et la laisserait tranquille. Mais il ne bougea pas et répéta tranquillement :
— Il est temps de rentrer, Signora.
Elle fit semblant de céder et répondit avec un demi-sourire :
— C’est bien, Stéfano. Va m’attendre dehors. Je viens tout de suite…
Le colosse ne fit pas un mouvement. Ses petits yeux de chien fidèle soutenaient sans faiblir le regard de nouveau hostile de sa maîtresse. Elle eut un geste excédé, puis appela le garçon qui obéit rapidement.
Le prix qu’elle paya confirma Stéfano dans son idée que la tasse de porcelaine blanche contenait du whisky et non du thé. Elle laissa un gros pourboire, puis vida d’un trait ce qui restait dans la tasse.
— Allons-y ! murmura-t-elle.
Le garçon la remercia et poussa la table de côté pour lui permettre de sortir plus facilement. Elle se leva sans hâte avec son habituelle distinction, et marcha d’un pas ferme vers la porte. Stéfano la suivit, soulagé. Elle n’avait pas encore atteint la cote d’alerte et tout se passerait bien.
Elle s’arrêta dans le hall. Un jeune chasseur aux yeux bouffis de sommeil lui apporta son manteau de pluie noir et jaune qu’elle enfila aussitôt. Elle donna une pièce au garçon, boutonna son imperméable, en releva le capuchon qu’elle rabattit ensuite sur sa tête, puis franchit la porte que Stéfano tenait ouverte.
À peine dehors, elle offrit son visage au vent du sud chargé de pluie et respira profondément. Puis, elle se tourna vers Stéfano qui attendait à sa droite et gronda :
— Tu me paieras ça ! Me ridiculiser ainsi, devant tout le monde !
Stéfano ne se troubla pas pour autant. Il en avait entendu d’autres.
— Cet homme essayait de vous faire parler, Signora. Je l’ai bien vu…
Elle le toisa, méprisante.
— Et alors ? Crois-tu que je ne m’en suis pas aperçue ? Crois-tu que je ne suis pas de taille à me garder toute seule ? Je ne te paie pas pour me surveiller, ni pour me servir de nourrice.
— Venez, Signora. La gondole est par là…
— Je ne veux pas retourner au « Palazzetto », protesta-t-elle. Je sens que je deviens folle dans cette grande maison vide… Folle ! Folle !
Il ne put s’empêcher de frissonner en la voyant serrer ses tempes entre ses poings.
— Venez, Signora.
Elle le suivit sur les dalles du quai inondées par les vagues. Poussée par le sirocco, la mer n’allait sans doute pas se priver d’envahir la ville dès la prochaine marée. Il retrouva la gondole armoriée, aida la jeune femme à descendre, dénoua l’amarre, saisit la longue rame et, d’une poussée, décolla le bateau du quai.
La Comtesse Christina s’était réfugiée dans la cabine étroite et sombre, à l’abri de la pluie. Stéfano ne la voyait plus. Il se mit à pagayer le long du quai, puis vira sec pour engager la gondole dans le rio Palazzo.
L’eau clapotait durement sur les murs. Poussée par le vent, la longue barque noire avançait vite sans que Stéfano eût à se donner beaucoup de mal.
Ils passèrent sous le pont des Soupirs. L’endroit était obscur, sinistre. Une flamme minuscule éclaira brièvement l’intérieur de la cabine. La jeune femme venait d’allumer une cigarette.
Stéfano ramait prudemment, guidé par les reflets de la lanterne à pétrole accrochée sous la proue sculptée de la gondole. Le choc régulier de la rame sur l’eau, puis le gargouillis des remous qui se mouraient lentement dans le sillage, composaient une symphonie étrange et déprimante dont Stéfano ressentait les effets sans les comprendre.
Il baissa la tête pour passer sous le pont, derrière la basilique. Le point rougeoyant d’une cigarette qui s’avivait à de brefs intervalles trahissait seul la présence de la Comtesse Christina dans la cabine. Invisibles, les deux Maures de l’horloge de la place Saint-Marc sonnèrent le quart après cinq heures. Le ciel était maintenant tout à fait noir et la pluie ne désarmait pas.
Stéfano réfléchissait. La conduite étrange de sa maîtresse ne laissait pas de l’inquiéter et il sentait confusément que c’était à lui de faire quelque chose… Mais de quelle façon ? Il était au courant de l’essentiel, mais non des détails ; et il n’avait jamais su, par exemple, de qui la Comtesse recevait des instructions, ni à qui elle fournissait les rapports.
Il n’avait jamais cherché à l’apprendre, pressentant avec son solide bon sens qu’il vaudrait toujours mieux pour lui en savoir le moins possible ; mais, maintenant, il aurait donné cher pour connaître la filière, afin de pouvoir avertir quelqu’un de ce qui se préparait…
La gondole se glissa sous un nouveau pont bossu qui obligea Stéfano à courber sa haute taille. De l’autre côté, il se redressa et donna une vigoureuse impulsion à la rame unique.
Un violon se mit à pleurer dans la nuit. Puis le moteur d’un motoscafi gronda quelque part, pas très loin. Stéfano se sentit brusquement oppressé et il leva son regard vers le ciel d’encre, adressant en même temps une courte prière à la Madone…
Le moteur du motoscafi continuait de ronronner, couvrant la plainte du violon qui s’obstinait. À l’intérieur de la cabine étroite, la jolie Comtesse Christina ne cessait pas de tirer nerveusement sur sa cigarette. Stéfano Vasari manœuvra pour faire virer la gondole à gauche et l’engager dans le rio Della Fava…
Très occupé par la manœuvre – le rio n’était pas large – il ne prêta guère attention au brusque déchaînement du moteur du canot qui arrivait de la droite. Puis la Comtesse cria et il se retourna juste à temps pour voir l’étrave de cuivre et d’acajou lui foncer dessus, trois quarts arrière.
Impossible d’éviter le choc. Déséquilibré, il lâcha sa rame et tomba à l’eau, touchant la coque du motoscafi. Un réflexe d’auto-défense lui fit exécuter les gestes nécessaires pour échapper aux pales meurtrières de l’hélice. Il buta contre le mur visqueux d’une maison. Un rat d’eau, dérangé, jaillit d’entre deux pierres et lui frôla le visage. Ses pieds enfoncèrent dans la vase du fond. Puis, sa grosse tête émergea et il respira à fond.
Le canot responsable de l’accident s’était immobilisé contre la gondole couchée sur le côté. Stéfano vit que les deux occupants repêchaient la Comtesse et les entendit se confondre en excuses. La jeune femme prit pied dans l’embarcation tamponneuse et se laissa tomber sur la banquette. Elle avait dû boire sérieusement et suffoquait.
Les deux hommes cherchèrent Stéfano du regard et le découvrirent au pied du mur.
— Venez ! dirent-ils ensemble.
Stéfano, qui avait craint un attentat, fut rassuré en les voyant agir ainsi. Et puis, ils n’étaient que deux… En quelques brasses vigoureuses, il fut contre le canot et saisit la main qui lui était tendue.
Il ne vit même pas arriver le coup. Les mâchoires de l’énorme clé anglaise lui ouvrirent le crâne. Cela fit l’effet d’un coup de marteau sur une coque de noix. Stéfano, lâchant la main qui aurait dû le hisser à bord, coula à pic. Sans un cri, sans un mot…
Christina Della Dorsoduro avait vu. Elle se redressa d’un bond et se jeta sur les deux assassins qui eurent à peine le temps de se retourner. D’un violent coup d’épaule, elle projeta le plus près dans les eaux du rio, puis lança ses ongles vers le visage de l’autre en criant à l’aide.
Surpris par cette attaque foudroyante, l’homme évita de peu les ongles acérés, réussit à saisir le bras de la jeune femme et la frappa durement de son autre main pour la faire taire.
Le violon ne jouait plus. Des volets claquèrent, des fenêtres s’ouvrirent. Celui des agresseurs qui était tombé à l’eau essayait de remonter dans le canot qui tanguait dangereusement. Le moteur ronronnait toujours au ralenti. La jeune femme envoya un coup de bottine dans les tibias de son adversaire, ce qui lui assura un bref avantage. Elle se jeta par dessus la banquette avant, vers le volant, et tira à fond la manette des gaz. Le moteur se mit à rugir. Le canot fit un bond en avant, rejetant le naufragé à l’eau. Affolé, l’autre reprit la clé anglaise tombée sur le plancher de lattes et la leva sur la Comtesse Christina qui essayait de se relever…
Ce fut à ce moment que le motoscafi s’engagea sous le premier petit pont du rio Della Fava. Aveuglé par la colère et par la peur, l’homme vit trop tard l’obstacle et n’eut pas le temps de baisser la tête. Il prit la pierre rugueuse en pleine figure et fut littéralement arraché du canot qui continuait sa course en prenant de la vitesse. Mais, à quelques mètres de là, le rio tournait à angle droit…
Christina se retourna sur le ventre, les dents serrées, les yeux fous. Elle sentait monter la crise, elle étouffait… Le choc effroyable du canot contre la pierre lui fut à peine sensible. Elle coula dans l’eau fétide parmi les résidus d’un seau d’immondices qu’une ménagère venait de vider par la fenêtre.
Le moteur du canot démantelé gronda encore quelques secondes, puis se tut, noyé. Alors, un grand tumulte de voix emplit l’étroit espace entre les maisons qui bordaient le rio.
CHAPITRE
2
Hubert bonisseur de La Bath se sentait bien. Tout à fait bien. Un soleil radieux brillait dans un ciel pur de nuages. Devant lui, à perte de vue, la Méditerranée clapotait, aussi bleue que le ciel, avec des paillettes d’or accrochées partout.
Eh oui ! Allongé sur un transat bien rembourré, avec absolument rien de sérieux en perspective, la vie pouvait être belle !
— C’est tout de même un temps extraordinaire pour la saison ! répéta pour la dixième fois une jolie voix grave, tout près de lui.
Il tourna un peu la tête et ôta ses lunettes noires pour mieux admirer la propriétaire de la voix. C’était une fille splendide, une rousse authentique, avec un corps de déesse, une bouche fruitée et des yeux fascinants. Hubert adorait les taches de rousseur qui marquaient l’épiderme de son visage et de ses épaules.
— Tu as tort de t’obstiner, assura-t-il. Les vraies rousses ne bronzent pas, c’est bien connu.
Elle ne portait qu’un minuscule bikini couleur chair, si minuscule qu’à chaque instant des passants alléchés descendaient de la Croisette pour mieux voir. Un peu déçus, ils n’en restaient pas moins boire un verre à la buvette et Hubert commençait à se demander s’il ne ferait pas bien de réclamer un pourcentage au sympathique patron de Chez Gigi, la plage privée où ils avaient pris l’habitude de venir passer une partie de leurs après-midi, l’autre partie étant réservée à un passe-temps moins innocent qui exigeait le huis clos…
Il remit ses lunettes, reposa sa tête sur le coussin et ferma les yeux, convaincu que Cannes était bien l’endroit le plus agréable de la terre.
Il commençait à somnoler lorsque des pas crissèrent dans le sable, tout près de lui. Puis une ombre s’étendit sur lui. Sans ouvrir les yeux, il grogna.
— Ôtez-vous de mon soleil, s’il vous plaît.
L’ombre ne bougea pas. Hubert attendit deux secondes, incrédule, puis regarda l’importun afin de savoir par où le prendre pour l’expédier à la flotte.
— Hello ! fit l’audacieux. Je ne m’étais pas trompé, c’était bien vous !
Hubert, qui avait immédiatement reconnu son vieil ami Bug, se tint coi. Bug lui avait adressé la parole en français et lui disait vous.
— Hello ! Il me semble vous avoir déjà rencontré quelque part.
Bug, qui mâchouillait toujours son éternel chewing-gum, jeta un regard intéressé sur l’anatomie de la jolie rousse qui s’était redressée sur un coude et continua :
— C’était peut-être à Sing-Sing… Non, plutôt à Coney Island. Nous avons mangé des hot-dogs ensemble et mon dernier avait renversé le pot de moutarde sur votre costume neuf.
Hubert se releva lentement sous l’œil étonné de la belle rousse.
— C’est ça, assura-t-il, je m’en souviens parfaitement. Votre femme est une grosse brune qui louche un peu, non ?
— Exact ! fit Bug toujours impassible. Elle est là, avec tous les gosses. Ça leur ferait plaisir à tous de vous voir.
Joe parle souvent de la moutarde ; c’est un de ses meilleurs souvenirs.
Hubert comprit que Bug voulait lui parler seul à seul et attrapa sa veste sur le dossier du transat.
— Ils sont là-haut ?
— Ouais. Si vous pouvez venir cinq minutes…
Il regarda la rousse.
— Cette jeune personne est sans doute avec vous ?
— Quelquefois, répondit Hubert. Elle s’appelle Dominique et elle essaie de prouver que les vraies rousses peuvent bronzer.
— Hello ! dit Bug. J’avais tout de suite vu que vous étiez une vraie…
— Vous êtes un petit malin, répliqua-t-elle d’un ton caustique.
Bug cracha sa gomme dans le sable à vingt pas de là et sourit.
— Ma femme me le répète souvent. Ça ne vous fait rien que je vous enlève votre ami pendant cinq minutes.
— Rien du tout, assura-t-elle. Pourvu que vous me le rendiez ce soir. J’ai peur toute seule la nuit.
— Je vois ce que c’est ! murmura Bug.
La jeune femme se laissa retomber en arrière sur son matelas et ferma les yeux pour bien marquer que l’intermède était terminé en ce qui la concernait. Hubert suivit Bug et lança à Mike, le plagiste, qui le regardait sortir :
— Je reviens.
Ils grimpèrent sur la Croisette et prirent à pied la direction du Casino.
— Navré d’avoir interrompu ta sieste, dit Bug. Mais je te cherchais depuis une heure…
— D’où viens-tu ?
— De Washington. C’est Smith qui m’envoie vers toi.
— Si je traduis bien, les vacances sont finies.
— Hélas.
— D’abord, Smith m’a chargé de te féliciter pour ton boulot du Caire (1). À la lumière des renseignements fournis, le Président est en train de mettre sur pied une nouvelle politique pour le Moyen-Orient.