Un ciel plat, sans étoiles et sans nuages, couvrait Moscou en cette nuit de juillet. Pas un souffle de vent ne balayait la Perspective Koutouzov, déserte, ensevelie dans un lourd silence.
De la lumière ne filtrait que de deux ou trois fenêtres d'un seul immeuble de cette longue enfilade d'édifices modernes. Haut de huit étages, il était également le seul devant lequel stationnaient quelques voitures.
L'inspecteur Alexis Orlov, fatigué d'être resté longtemps immobile dans une encoignure, résolut de se dégourdir les jambes. Agé de 45 ans, consciencieux mais blasé, il supportait de plus en plus mal ces interminables veilles nocturnes. Il effleura d'un regard fatigué la façade grise derrière laquelle quelques locataires s'obstinaient, Dieu sait pourquoi, à ne pas se mettre au lit, puis il se mit à déambuler dans l'avenue.
Les épaules basses, ses mains enfoncées dans les poches de son pantalon, il avait presque l'impression, en se promenant, d'avoir commis un délit. Son métier le contraignait à passer inaperçu, et le fait de se déplacer en terrain découvert, tout seul, visible, altérait son confort moral. Le complexait.
Il lui déplaisait qu'on pût le surveiller, alors que sa tâche était de surveiller les autres. Aussi ne pouvait-il s'abstenir, en avançant, de lancer des coups d’œil furtifs aux maisons anonymes pour s'assurer qu'on ne l'épiait pas.
Au bout d'une centaine de mètres, il fit brusquement demi-tour. Trop brusquement. Si loin que sa vue pût porter, il n'y avait personne..
Orlov était à peu près sûr que tous les occupants de l'immeuble dont il guettait les abords étaient rentrés à présent, et que d'éventuels visiteurs n'en sortiraient pas avant l'aube. L'édifice, d'apparence des plus respectables, avait pourtant une assez fâcheuse réputation.
« Des privilégiés », songeait l'inspecteur avec une ironie qui n'était pas dénuée d'un soupçon de malveillance. Ces gens-là pouvaient se procurer des tas de choses qui restaient inaccessibles au commun des citoyens soviétiques, vivre en marge des difficultés quotidiennes, s'offrir des plaisirs rares. Bien que, la plupart du temps, ils ne fussent à Moscou que pour venir quémander une aide, en fonds ou en armes. Ou pour entretenir avec les dirigeants des rapports empreints d'hypocrisie, déguisant leur aversion pour le communisme
Orlov, marchant sur le trottoir opposé, vit que trois fenêtres restaient toujours éclairées. Il se perdit en supputations sur ce que pouvaient encore faire ces étrangers à une heure pareille. Travailler ? Il en doutait fortement. Plus d'un était déjà ivre quand il revenait chez lui.
Tout à son soliloque, le policier poursuivit son chemin. Il allait atteindre le point extrême de sa navette quand il perçut un bruit étrange : un coup sourd, sinistre et définitif, qui le fit se retourner d'un bloc avec une sensation nauséeuse.
D'emblée, son regard capta une forme blanche allongée sur le trottoir, près du caniveau, devant l'immeuble dont il assumait la surveillance.
Son sang ne fit qu'un tour. La nuque subitement moite, il s'élança au galop vers la silhouette laiteuse qui gisait de l'autre côté de l'avenue, mais il ne négligea pas pour autant de parcourir rapidement des yeux toutes les fenêtres de la maison ; une seule d'entre elles était ouverte.
Parvenu près de la femme entièrement nue qui venait de s'écraser à l'aplomb de cette croisée, Orlov eut la gorge serrée. Le corps admirable de la malheureuse semblait intact, à première vue. Étalée sur le dos, les bras en croix, les paupières à demi relevées sur des yeux révulsés, elle ne paraissait souffrir d'aucune fracture. Et pourtant, elle était morte, tuée sur le coup. Une fille jeune, aux courts cheveux noirs, aux traits légèrement mongoloïdes.
L'inspecteur mit quelques secondes à surmonter son désarroi. Il avait des consignes précises, mais le plus urgent n'était-il pas de faire enlever ce cadavre ? Le silence conservait une densité surprenante.
Accident ou suicide, le drame ne semblait soulever aucune émotion dans l'immeuble. Pourtant, le bruit affreusement insolite avait été suffisamment audible pour éveiller la curiosité.
Préférant s'en tenir aux instructions, Orlov se redressa et gagna l'entrée de l'édifice. La porte n'était jamais fermée à clé. Il pénétra dans le couloir, appuya sur le bouton de la minuterie, décrocha le combiné du téléphone attaché au mur du couloir, forma fébrilement un numéro.
La réponse fut instantanée.
- Ici, Orlov, chuchota-t-il. Au 15 de la Perspective Koutouzov. Envoyez tout de suite une escouade. Il s'est passé quelque chose qui risque de provoquer un scandale. Faites vite.
- On vient, promit son correspondant, laconique.
L'inspecteur, après avoir coupé la communication, resta un instant immobile, l'oreille tendue, le souffle un peu oppressé. Un calme total continuait de régner.
Orlov ressortit, regarda de part et d'autre avant d'aller se pencher derechef sur le corps de la jeune femme. Une tache de sang commençait à s'élargir sous sa nuque. Fracture du crâne, évidemment.
Si Orlov n'avait appris à maîtriser ses impulsions, il aurait passé une main caressante sur les seins de la belle inconnue, tant leur forme était parfaite. Cédant plutôt à son apitoiement, il se débarrassa de sa veste pour en couvrir le haut des cuisses et le buste de la morte.
Il releva la tête car une fenêtre s'ouvrait. La tête et les épaules d'un homme en pyjama s'inclinèrent vers le bas, puis une voix enrouée lança :
- Hé ! Que faites-vous là ? (Puis, avec stupeur.) Que... Qu'est-il arrivé ?
- Ne vous en préoccupez pas, rentrez chez vous ! rétorqua l'inspecteur d'un ton rude. Je suis de la police.
Mais le locataire, éberlué, continuait de fixer le corps étendu.
- Un accident ? s'enquit. Faut-il appeler une ambulance ?
- C'est déjà fait. Ne vous en mêlez pas.
Leurs voix, bien que contenues, résonnaient étrangement dans la nuit. Une autre fenêtre s'éclaira, puis une autre encore.
Orlov sentait monter en lui une impatience grandissante. Les chances d'étouffer l'affaire devenaient plus ténues à mesure que les minutes passaient. Il se demanda s'il ne valait pas mieux transporter le corps dans le couloir de l'immeuble, pour le soustraire à la curiosité des voisins. Mais peut-être le lui reprocherait-on ultérieurement.
Son indécision s'estompa car les feux d'une voiture surgissaient à l'angle d'une voie transversale, fonçaient vers lui.
La limousine noire s'arrêta pile devant l'entrée du 15, et plusieurs hommes en jaillirent par les quatre portières. L'un d'eux, tête nue et vêtu d'un long imperméable de teinte sombre, hocha la tête en apercevant la jeune femme couchée sur le trottoir. Il dit à Orlov :
- D'où est-elle tombée ?
- Du sixième étage, je crois. C'était la seule fenêtre ouverte à ce moment-là.
L'homme à l'imper, renfrogné, distribua des instructions en désignant d'un regard acéré ceux auxquels il s'adressait :
- Embarquez-la dans la voiture... Restez devant la porte, à l'intérieur, et empêchez quiconque de sortir... Vous, récupérez votre veste et accompagnez-moi là-haut.
Puis, à tous, il intima :
- Défense de répondre aux questions des locataires, vous m'entendez ?
Ses subordonnés opinèrent. C'étaient des individus au gabarit impressionnant et au faciès prolétarien qu'on eût dit taillé dans du hêtre. Ils s'ébranlèrent silencieusement.
Avant de monter à l'étage, le chef de l'escouade décrocha le téléphone du couloir et forma un numéro composé d'un seul chiffre.
- AKZ 23, s'annonça-t-il. Coupez toutes les lignes de l'immeuble jusqu'à 7 heures du matin. Sauf moi, personne ne doit avoir de communications avec l'extérieur. Compris ?
Ayant reçu un acquiescement d'une promptitude toute militaire, il fit un signe à Orlov et à deux de ses hommes. Ensemble, ils se dirigèrent vers l'ascenseur.
Une vingtaine de minutes plus tard, alors que les occupants de la maison tenaient aux divers étages de discrets conciliabules malgré les injonctions des policiers, le groupe de ceux-ci ressortit.
Il emmenait deux personnages de bonne mine, élégants, qui affichaient une expression extrêmement soucieuse. Les locataires qui eurent l'occasion de les entrevoir partagèrent l'opinion que ces quidams se trouvaient en état d'arrestation bien qu'on ne leur eût pas mis des menottes.
Les bavardages de palier se poursuivirent longtemps après leur départ. Par bribes, et en diverses langues, des informations s'échangèrent mais, si elles permirent d'élaborer des hypothèses sur la fin de la jeune femme aux traits eurasiens, elles ne purent donner à personne une notion exacte des circonstances du drame.
Dans cette maison habitaient, pour des durées variables, des gens de races et de nationalités différentes. Ils avaient entre eux des relations courtoises, parfois amicales.
Un Belge, nommé Verbist, logeait au 6e, dans un appartement proche de celui d'où la fille s'était jetée dans la rue. Lorsqu'il eut refermé sur lui la porte du petit hall d'entrée, il se gratta pensivement la joue.
Cette histoire ne le regardait en aucune manière, bien sûr. Mais enfin, la solidarité, ça existe. Ça devrait exister. Tomber dans les mains de la police soviétique est une épreuve dont l'issue est toujours aléatoire.
Verbist avait un cœur généreux et un sens très strict des devoirs qu'impose l'amitié. Aussi ne tarda-t-il pas à prendre une décision qui allait à l'encontre de sa prudence native, se disant avec un rien d'acrimonie que si lui n'agissait pas, aucun autre locataire ne le ferait. Il le connaissait, ce monde d'égoïstes à la parole facile et à l'humanitarisme de surface.
Il resserra la ceinture de la robe de chambre qu'il avait enfilée un quart d'heure auparavant et gagna son cabinet de travail. Assis d'une fesse sur le coin de son bureau, il s'empara du téléphone dans l'intention d'appeler l'ambassade de France.
Pas de tonalité.
Comme par hasard.
Verbist raccrocha, philosophe, puisa une cigarette dans un paquet ouvert. Tant pis. Il se rendrait le lendemain, à la première heure, à l'ambassade de la nation amie.
Réflexion faite, c'était encore préférable.
CHAPITRE II
- C'est ici que l'histoire se corse, annonça le Vieux en se renversant dans son fauteuil. L'ambassade n'avait jamais entendu parler du type cité par ce brave Belge appelé Verbist !
Francis Coplan, les mains jointes, continua de se tourner les pouces tout en posant sur son chef un regard à peine intéressé. Le teint encore recuit par le soleil d'Afrique, ses prunelles grises rendues plus bleues par contraste, il avait l'air d'être là en simple visiteur. Pire : en vacancier. Son polo léger à col ouvert et manches courtes, la montre de plongée sous-marine à son poignet, son pantalon clair et ses chaussures de toile eussent été parfaits dans le décor d'une plage du Midi.
Le Vieux désapprouvait ce genre de tenue. Mais qu'y faire ? Ils devenaient tous comme ça, dans le Service. Le style nouvelle vague, décontracté à l'excès, un peu pop sur les bords.
- Vous me suivez ? s'informa le Vieux, le menton sur la poitrine et les yeux vifs derrière ses lunettes.
- Oui, oui, parfaitement, dit Francis. Et alors, qu'a fait l'ambassade ?
- Elle a demandé des explications aux autorités soviétiques, cela va de soi. L'homme étant, jusqu'à preuve du contraire, un ressortissant français, il était normal qu'elle s'inquiétât de son sort. Les Russes ont répondu que l'intéressé avait été expulsé le lendemain de l'accident, qu'ils l'avaient mis dans un avion partant pour Zurich et, pour le reste, ils ont opposé un mutisme total.
Coplan fronça les sourcils.
- Vous n'allez pas me dire, j'espère, que ce gars-là faisait partie de la maison ? prononça-t-il avec un vague sourire.
- Non. Mais je regrette presque que ce ne soit pas le cas. Vous allez voir pourquoi.
Le Vieux changea de nouveau de position. Il saisit un stylo bille et dessina un petit cercle au centre d'une feuille de papier machine tout en reprenant :
- Voilà donc un personnage qui loge dans un édifice exclusivement réservé aux agents diplomatiques en mission à Moscou, et qui n'est pas recensé aux Affaires étrangères. Il reçoit chez lui, tardivement, un individu dont les Russes refusent de dévoiler l'identité, et une jeune femme prénommée Liouba, connue par plusieurs attachés comme étant une « call girl » de haute classe se tenant à la disposition des diplomates célibataires ou esseulés...
Il précisa, entre parenthèses :
- Un poste officiel, en quelque sorte. Bref, la soirée tourne mal et la demoiselle, dont la pudeur ne doit pas être la qualité dominante, termine sa carrière en sautant par la fenêtre. Entièrement nue, je vous le rappelle.
Il avait dessiné deux autres petits cercles qui, avec le premier, marquaient les sommets d'un triangle équilatéral.
- Je comprends, poursuivit-il, que les Russes aient voulu éviter toute publicité à ce regrettable incident, mais je serais tout de même curieux de savoir ce qui s'est passé. D'autant plus...
Il releva son regard légèrement sarcastique vers Coplan et articula :
- D'autant plus que ce Luc Sevran n'appartient pas davantage aux Services Spéciaux, ni au Parti Communiste français.
Coplan montra par une mimique empreinte de scepticisme qu'il ne tenait pas cette affirmation pour irrécusable. Il objecta :
- Ce ne serait pas la première fois qu'on renie un bonhomme qui a eu le tort de se faire remarquer.
Son chef secoua la tête.
- Il y a déjà une huitaine de jours que les Renseignements Généraux et la D.S.T. sont en piste pour établir le pedigree de ce mystérieux voyageur, révéla-t-il. Ils ont recueilli sur lui un certain nombre d'indications valables, mais aucune qui puisse expliquer pourquoi les Russes l'ont reçu avec les honneurs habituellement réservés aux seuls membres accrédités du corps diplomatique.
Le visage viril de Coplan exprima pour la première fois un semblant d'intérêt. Lentement, il tira de sa poche un paquet de Gitanes.
- Sevran est-il domicilié en France ? s'informa-t-il.
- Non. Son port d'attache n'a pas encore été découvert. Il a renouvelé son passeport il y a quatre ans, alors qu'il habitait Paris, et, un beau jour, il a disparu de la circulation. Il ne semble pas être revenu en France depuis. Son casier judiciaire est vierge et il n'a pas eu d'activités politiques apparentes.
- Quel âge a-t-il ?
- 29 ans. Il est né de père français et de mère russe, ce qui laisse à penser qu'il pratique assez couramment cette langue. Mais ses parents sont décédés.
Il y avait là une certaine analogie avec les ascendances de Coplan, dont l'arrière-grand-père maternel était originaire de Kharkov.
- Bon, dit Francis. Vous voudriez que je retrouve cet homme ?
- Je voudrais surtout que vous découvriez ce qu'il trafique, rectifia le Vieux. Il y a trop d'éléments bizarres dans ce fait divers qui a coûté la vie à la jeune Liouba. Primo : on ne discerne pas ce qui l'aurait poussée au suicide, lors de cette réunion intime où elle s'était rendue librement et en sachant qu'elle devrait s'y prostituer. Secundo : l'hypothèse d'un accident paraît assez baroque. Tertio : s'il y a eu meurtre délibéré, l'endroit était plutôt mal choisi, et l'expulsion rapide de Sevran ne s'explique pas. Coplan souffla de la fumée avant de parler :
- Il serait non moins curieux que ce gars-là ait conservé son identité réelle pour se livrer à des manœuvres clandestines.
Le Vieux médita, puis :
- Je vous l'accorde, mais il s'en est vraiment fallu d'un cheveu que nous n'ayons jamais eu vent de cette histoire. C'est l'initiative charitable de ce Belge, Verbist, qui a révélé à l'ambassade la présence de Sevran dans cet immeuble réservé. Sans cela, un voile impénétrable aurait été jeté sur toute l'affaire. Qui était l'invité de Sevran, par exemple ? Un Russe ou un étranger ? Verbist lui-même, qui était dans la maison, n'en sait rien.
Un silence plana.
Coplan, réaliste et enclin par nature à voir les choses sous un angle pratique, souligna :
- Sans autres indices, localiser Sevran sur la surface du globe ne va pas être une sinécure. Les Russes prétendent qu'ils l'ont embarqué dans un avion pour Zurich, mais doit-on les croire ?
- Ça, vous pourrez le vérifier facilement : la police helvétique a les fiches d'aéroports. Si Sevran a bien été expulsé de Moscou le 28 juillet au matin, c'est à cette date-là qu'il a dû arriver en Suisse.
- Quel métier exerçait-il, avant de quitter le pays ?
- Représentant de commerce. Il vendait de l'appareillage électronique d'usage courant : transistors, amplis, interphones, prothèses auditives, etc. J'ai là le dossier de tous les renseignements rassemblés à son sujet, y compris une copie de la photo qu'il avait fournie pour le renouvellement de son passeport.
Il glissa devant Coplan une chemise cartonnée jaune clair dont la minceur attestait qu'elle ne contenait pas grand-chose. Coplan ne se donna même pas la peine de l'ouvrir : si un fait significatif y avait été consigné, le Vieux n'aurait pas manqué de l'évoquer.
Francis regarda son chef bien en face.
- Avez-vous une raison spéciale qui vous fasse désirer connaître les causes véritables de la mort de Liouba
Le directeur du S.D.E.C. plissa les lèvres avant de grommeler :
- Si vous voulez insinuer que cette attrayante personne avait des attaches occultes dans l'ambassade ou avec le Service, je vous répondrai non. Mais il y a toujours de bonnes raisons de s'intéresser aux agissements d'un individu qui, sans être commissionné, gravite dans les milieux diplomatiques.
- En clair, vous soupçonnez Sevran d'être devenu un auxiliaire des services de renseignements du Kremlin ?
- Cela ne paraît pas exclu, ne pensez-vous pas ? Et si cela se confirme, j'aimerais savoir à quelles fins les Russes utilisent les talents de ce citoyen français.
Coplan opina de la tête. A l'origine de la plupart des enquêtes de contre-espionnage, il n'y a souvent que l'interprétation méfiante d'une anomalie, et le Vieux n'avait pas son pareil pour les déceler, comme si son cerveau avait été doté d'une espèce de radar.
- Bien, soupira Coplan. Je présume que vous avez fait préparer une lettre d'introduction pour la police helvétique ?
- Elle est rangée dans le dossier, dit le Vieux. Si vous trouvez là-bas un début de piste, prévenez-moi par téléphone. Ensuite, nous aviserons.
Le lendemain après-midi, à Berne, Coplan recueillit auprès des fonctionnaires de la police fédérale suisse des informations qui prouvaient, à tout le moins, que Luc Sevran s'était arrêté dans ce pays après son départ d'U.R.S.S.
Une fiche de débarquement remplie de sa main attestait qu'il avait atterri à Kloten, l'aéroport de Zurich, le 28 juillet. Par ailleurs, il existait une fiche d'hôtel, portant la même date, remise à la police par le « Carlton-Elite », un établissement situé dans la Bahnhofstrasse à Zurich.
Sur ce dernier document, signé par Sevran mais rempli par un employé de la réception de l'hôtel sur la foi des renseignements figurant dans le passeport, la mention « Adresse permanente » avait été complétée par l'indication du dernier domicile connu du titulaire, à savoir celui de Paris, qu'il avait abandonné quatre ans auparavant.
Il fallait s'y attendre.
Coplan, après s'être fait délivrer une photocopie des deux fiches, prit le train jusqu'à Zurich et se rendit au « Carlton-Elite ».
Depuis la veille, il essayait de se faire une image de la personnalité de l'homme dont il cherchait la trace.
Il ne se fiait guère à la photo d'identité qu'il avait contemplée. Le visage, au nez droit, au front haut, n'était pas déplaisant et avait même de la distinction. Appartenant à un individu d'une taille de 1 m 75, il devait lui conférer un aspect sérieux, parfaitement honorable.
Pour ceux qui le côtoyaient, Sevran devait paraître sympathique. La démarche de Verbist, à l'ambassade de Moscou, était symptomatique à cet égard. Voisins de palier depuis moins d'une semaine, ne s'étant rencontrés par hasard qu'une fois ou deux et n'ayant échangé que peu de phrases, leur contact avait été cordial puisque la première idée de Verbist, après avoir vu Sevran emmené par la police russe, avait été de lui procurer un défenseur.
Au préposé à la réception du Carlton, Coplan déclara :
- Je devais voir M. Sevran ces jours derniers mais je n'ai pas pu venir à Zurich plus tôt. Pouvez-vous me dire s'il est encore ici ?
L'employé, diligent, consulta le tableau des « Occupations ».
- Non, il a quitté l'hôtel, signala-t-il.
- Quand cela ?
- Un instant, je vous prie.
L'examen d'un grand registre lui permit de préciser peu après :