Le capitaine Einar Gunsson avait prévenu ses passagers : « Dans trois jours, il fera beau. Pas avant. » Et, en effet, le vendredi 4 mai, vers dix heures du matin, le miracle se produisit. La grisaille et la brume se dissipèrent, le soleil se mit à briller dans le ciel pur, dégagé ; la mer devint limpide.
Avec plus d’un mois de retard, la Méditerranée déploya brusquement les splendeurs légendaires de son printemps unique au monde.
Le Mindoubia leva l’ancre à midi et quitta sans regret la rade de Port-Cros où il était resté immobile pendant neuf jours en attendant le beau temps. Le bateau mit le cap vers le large, direction sud-ouest, exactement d’où venait la brise légère qui faisait scintiller le miroir éblouissant de la mer.
Gunsson, debout sur la passerelle avant, les deux mains dans les poches de son vieux pantalon de toile, son torse de lutteur moulé dans un gilet de corps qui soulignait la vigueur de sa musculature, contemplait d’un œil satisfait la ligne d’horizon.
Le capitaine était content. Tout allait bien.
A bord du yacht, la mauvaise humeur générale s’était envolée comme par enchantement. Les trois hommes d’équipage, le mousse et le cuisinier chinois travaillaient en sifflotant. Les passagers, radieux, se prélassaient dans les fauteuils de plein air et savouraient des long-drinks. Le souvenir morose des journées précédentes était oublié.
Le bateau lui-même, avec sa coque blanche et sa toile à rayures rouges tendue au-dessus du gaillard d’arrière, paraissait plus léger, plus élégant dans la lumière étincelante.
En fait, le Mindoubia n’était pas un joli bâtiment ; malgré les transformations qu’il avait subies, il conservait les marques indélébiles de ses origines rigoureusement utilitaires : large poupe carrée, disproportion des plages avant et arrière par rapport aux superstructures, carénage trop plat et trop lourd. Le Mindoubia était tout simplement un M.L. de la série Type 520, que l’astucieux Gunsson avait racheté pour une bouchée de pain aux surplus de la marine de guerre britannique.
Long de 32 mètres, sur 5 mètres 35 de large, ce bateau, comme tous ceux de sa série, avait été conçu par les ingénieurs anglais en vue du débarquement, c’est-à-dire en fonction d’un maximum d’habitabilité ; et c’était surtout cela qui avait intéressé Gunsson, car un yacht de grande croisière se loue d’autant plus facilement qu’il peut embarquer un plus grand nombre de passagers.
Tel était du moins le motif que le capitaine donnait pour expliquer son choix. Or, un coup de chance inespéré avait rendu ce calcul inutile : en mars 1956, exactement huit mois après l’achat du Motor-Launch, un richissime banquier de Tanger, le senor Esteban Menderazo, avait proposé à Gunsson la location exclusive du Mindoubia pour une durée de six ans, renouvelable par tacite reconduction. Au prix fort. Les services du capitaine étant inclus dans la location, avec un gros salaire garanti.
Depuis lors, délivré de tout souci matériel, Gunsson se baladait à longueur d’année d’une rive à l’autre de la Méditerranée, heureux comme un pape. Esteban Menderazo ne se montrait pour ainsi dire jamais. En l’espace de six ans, il n’avait participé qu’à deux croisières ; la première, en août 1957, autour des îles grecques ; la seconde, en juillet 1959, du côté de Chypre.
Ses chèques trimestriels, d’une ponctualité remarquable, constituaient les seuls témoignages de son existence à l’égard du capitaine Gunsson. Pour le reste, le bateau se trouvait en permanence à la disposition de l’avocat-conseil de Menderazo, un certain Raymond Garrissoux qui tenait un important cabinet d’affaires à Marseille et qui, très occupé lui-même, confiait le yacht à un de ses amis, Frank Alderner.
Pas une seule fois, depuis que le Mindoubia avait commencé sa nouvelle carrière, le total des places disponibles n’avait été rempli. Les invités de Menderazo, de Garrissoux ou de Frank Alderner étaient généralement au nombre de cinq ou six, alors qu’on pouvait en loger très confortablement une bonne douzaine.
En ce moment même, il n’y avait que quatre passagers à bord : trois hommes, une femme.
Vers trois heures de l’après-midi, après son déjeuner et sa sieste, le capitaine, la pipe au bec, monta sur le pont. Il regarda la mer à bâbord, contourna le poste de pilotage, examina la ligne d’horizon à tribord, alla distribuer quelques ordres à son second, puis, de son pas pesant, se dirigea vers l’arrière.
Tout allait toujours très bien... La pulsation sourde des diesels avait une cadence régulière, réconfortante. Une bonne odeur de mazout émanait de la machinerie. Le double sillon d’écume, à la poupe, traçait un énorme sillage rectiligne.
Avec sa discrétion coutumière, Gunsson glissa un bref coup d’œil vers le salon de plein air. Sous la toile à rayures qui les protégeait des ardents rayons solaires, les trois passagers mâles, affalés dans leurs fauteuils, buvaient du whisky glacé.
Ils étaient muets comme des carpes.
Frank Alderner et son camarade Mario Lattini, en slip de bain, le torse nu, s’abandonnaient à la parfaite béatitude de l’heure.
Ces deux-là, Gunsson les connaissait bien. Ils passaient le plus clair de leur temps à bord. Et leur paresse n’avait pas de limites.
Le troisième passager était un nouveau venu. Il se nommait Yves Mazirac et il se disait ingénieur. Il se trouvait sur le Mindoubia pour se refaire une santé... Bien bâti, svelte, assez séduisant malgré sa pâleur et son regard voilé, il sortait d’une maison de repos où il avait été soigné pendant six mois à la suite d’une dépression nerveuse.
Vêtu d’un short et d’une chemisette blanche, il lisait un roman.
C’était un invité personnel d’Esteban Menderazo.
Le capitaine s’éloigna en douce et partit à la recherche de sa passagère, Lila Sari. Il était presque sûr qu’elle prenait un bain de soleil sur le petit deck, devant la cabine-appartement où elle logeait. Comme elle était la seule femme à bord, on lui avait évidemment attribué la place d’honneur. La cabine-appartement, spacieuse et décorée de boiseries en acajou poli, comportait un vrai lit, deux armoires, une table, deux sièges et un cabinet de toilette (avec baignoire, douche et w.c. particulier).
Avec plus de discrétion encore, Gunsson gravit les échelons d’une échelle de fer et se hissa sans bruit sur la dunette qui surplombait l’appartement et le minuscule deck adjacent.
Elle était là, comme prévu. Couchée de tout son long sur une couverture écossaise, offerte comme un bel animal à la caresse du soleil. La poitrine nue, un minuscule cache-sexe masquant tout juste la partie la plus intime de sa féminité, les bras en croix, les jambes mollement écartées, elle se faisait bronzer. Sa chevelure ondulée, noire comme l’ébène, lui dessinait une auréole somptueuse. Elle fermait les yeux, et ses longs cils de velours ombrageaient ses pommettes.
Gunsson serra les poings, avala péniblement sa salive.
Un désir profond lui labourait les entrailles. Il avait vu beaucoup de jolies femmes au cours de sa carrière de marin, mais celle-ci les battait toutes. Et de loin.
Aux yeux du capitaine, c’était cela, la femme idéale : La Femme.
Car elle avait toutes les perfections qu’un homme recherche : des jambes longues et parfaites, des cuisses pleines, des hanches en amphore, des seins gonflés et fermes, arrogants et doux, des épaules rondes, des bras superbes... Avec cela, un visage de madone adolescente où la bouche éclatait comme une fleur sensuelle, gourmande.
Gunsson dut faire un effort pour se détacher de cette vision. Il s’éclipsa, redescendit l’échelle, alla s’accouder au bastingage à tribord.
Il se sentait vaguement furieux contre lui-même.
C’était la deuxième fois que Lila Sari prenait des vacances à bord du Mindoubia. Frank Alderner la traitait en copine. Mario Lattini la trouvait trop jeune et l’appelait « la gosse ». Il n’était attiré que par les femmes de plus de trente ans. « Les voitures en rodage, c’est barbant » affirmait-il.
Lila venait d’avoir vingt-quatre ans. Et Gunsson, qui en avait cinquante-trois, s’en voulait d’être fasciné par ce tendron. Il s’en voulait d’autant plus qu’il avait eu l’impression, au mois d’août précédent, qu’il n’aurait eu qu’un mot à dire pour que son rêve secret se réalisât. Cette fois-là, à l’occasion d’une brève escale à Portofino, ils étaient restés seuls à bord, Lila et lui. Ils avaient bavardé bien gentiment... Pourquoi diable n’avait-il pas osé ?... La peur d’un refus ? Et alors ? Cela n’aurait pas eu de conséquences, car la fille, en plus de toutes ses qualités, était gentille comme un ange. A l'encontre de tant de sauterelles qui se montrent hautaines et prétentieuses parce qu’elles ont le corsage bien garni et les fesses chaloupeuses, Lila était aimable, bonne fille, d’un abord simple avec tout le monde, même avec le cuisinier chinois.
Elle savait remercier d’un sourire, il n’y avait jamais la moindre nuance de dédain dans ses grands yeux couleur noisette.
Alderner, en parlant d’elle, avait fait allusion à des origines fort modestes : un taudis de la banlieue nord de Paris. C’était bien possible, mais ça n’enlevait rien aux mérites de la jeune personne, bien au contraire.
Gunsson eut une soudaine inspiration. Il ôta sa pipe de sa bouche, la tapota contre la rambarde. Puis, sans se presser, il gagna le salon de plein air.
Il s’approcha de Frank Alderner, lui murmura quelques mots à l’oreille.
Alderner esquissa une ébauche de sourire, resta un moment pensif. C’était un homme de petite taille, trapu, à la poitrine velue, fort comme un taureau. Ancien pilote d’essai de l’aéronautique civile, retraité à 43 ans, il avait des cheveux bruns taillés en brosse, des yeux d’un gris minéral.
- Pourquoi pas ? fit-il brusquement d’un ton amusé où perçait une pointe de mépris. Si ça vous fait plaisir, et si ça ne nous met pas en retard, je n’ai rien contre.
- Cela m’arrange plutôt, affirma le capitaine. J’ai des essais de machine à faire et j’aimerais saluer mes amis du CERES.
- O.K. Allez-y, fit Alderner avec un petit geste de la main.
Gunsson s’en alla immédiatement donner des instructions au second qui tenait la barre.
Le Mindoubia, décrivant une immense courbe, cingla dès lors vers le sud-est.
Le capitaine, après avoir observé le changement de cap, retourna dans sa cabine. Il se ramena presque aussitôt à tribord, armé d’une paire de jumelles, et il se mit à étudier la tache sombre qui se profilait à l’horizon.
Cette tache sombre se précisa progressivement et, environ trente-cinq minutes après la modification d’itinéraire du yacht, le relief tourmenté de la plus grande des quatre îles d’Hyères se détacha très nettement sur le fond bleu de la mer et du ciel. Sa forme étrange faisait penser à un gigantesque hérisson au pelage vert, à l’échine brune, le nez tourné vers Port-Cros.
Gunsson abaissa ses jumelles, passa la courroie autour de son cou puissant et basané, hésita un moment, puis marcha d’un air décidé vers la cabine-appartement.
Lorsqu’il apparut sur le petit deck, il toussota. Lila Sari sursauta, ouvrit les yeux, saisit promptement une serviette qui se trouvait à portée de sa main et s’en servit pour cacher ses seins. Elle murmura en riant :
- Oh, pardon, capitaine ! Je crois que je somnolais, je ne vous ai pas entendu venir...
- J’avais frappé, mentit Gunsson. Je ne savais pas si vous étiez là... Je vous cherchais...
Lila se redressa à demi. Gunsson arborait un sourire débonnaire, un peu bête, qui plissait sa rude face boucanée.
- Je vous ai préparé une petite surprise, dit-il. Nous sommes près de la calanque de Rioufrède... à l’île du Levant... Si vous désirez vous baigner, nous pouvons nous arrêter un moment... Vous vous rappelez, le 15 août de l’an dernier ? Cela vous avait emballée, si j’ai bonne mémoire ?
- Vous êtes merveilleux, capitaine ! s’exclama la jeune femme en se levant d’une secousse aussi gracieuse que souple. Je me disais justement que ce serait épatant de nager... Je suis cuite à point et je commençais à transpirer... Regardez cela !...
Elle éleva son bras gauche, montrant les poils noirs et bouclés de son aisselle où perlaient effectivement quelques gouttes de sueur.
Gunsson opina :
- Le soleil est très chaud, pour sûr. Vous ne devriez pas vous exposer aussi longtemps au début...
- Nager me fera du bien, dit Lila.
Le capitaine ne put s’empêcher de fixer le nombril de la fille. On eût dit un bijou de nacre tendrement enfoncé dans l’ovale de ce joli ventre soyeux, chaud, palpitant... C’était là qu’il aurait voulu poser sa bouche, lécher ce creux si attirant... et puis laisser voyager ses lèvres sur cette peau d’un grain si prodigieusement lisse...
- Quand vous voudrez, articula-t-il. Je vous prépare l’échelle. Nous allons mettre en panne dans deux ou trois minutes.
Elle eut de nouveau son rire ingénu :
- Moi aussi, je suis prête ! Il n’y a pas grand-chose à préparer, vous savez !...
Un grondement assourdi fit vibrer le bateau qui s’immobilisa, les diesels baissèrent de régime pour se mettre au point mort.
- Venez, dit le capitaine.
Lila enroula la couverture écossaise autour de son corps, se contorsionna pour ôter son cache-sexe qu’elle lança dans sa cabine, emboîta le pas du capitaine.
A la coupée de tribord, un peu plus loin que le treuil qui actionnait les filins du canot suspendu à ses haubans, Gunsson déroula une échelle de corde.
- L’eau sera peut-être moins chaude qu’en plein été, prévint-il, mais elle sera quand même bonne.
- J’aime assez l’eau froide, dit Lila.
Puis, avec une voix de petite fille :
- Retournez-vous, monsieur le capitaine.
Il obéit.
Lila déroula prestement sa couverture, la déposa sur la rambarde, descendit quelques échelons, exécuta un plongeon impeccable. Lorsqu’elle revint à la surface, elle s’ébroua, dégagea d’un geste vif ses longs cheveux noirs, piqua un crawl rapide, magnifiquement coulé, efficace.
Gunsson porta aussitôt ses jumelles à ses yeux pour suivre les mouvements de la nageuse. Le grossissement optique lui donna la sensation de toucher presque le dos nu de la fille qui fendait l’onde avec aisance. Elle avait un battement de jambes précis, à la fois sec et élastique, et sa croupe admirable oscillait comme un fruit doré.
Un brusque jaillissement d’eau fit tressaillir le capitaine. Il déplaça son champ de vision : c’était Mazirac qui venait de plonger à son tour. Il était nu, lui aussi.
Lila nageait vers la petite crique taillée dans le flanc rocheux de l’île. Mazirac la suivait.
Un teuf-teuf-teuf résonna subitement derrière l’une des pointes abruptes de l’île.
C’était une vedette de la Marine de Guerre, avec quatre hommes à bord. En moins de cinq minutes, elle arriva à une vingtaine de mètres du Mindoubia, arrêta son moteur et se laissa dériver sur sa lancée pour venir avec une précision étonnante, se coller contre le yacht, juste à l’échelle de corde de la coupée de tribord.
Un officier en chemise bleue, pantalon de treillis, casquette à galons, grimpa allègrement à bord du Mindoubia.
- Salut, capitaine, lança-t-il à Gunsson qui avait son bon sourire de vieux loup de mer. Toujours voyeur, hein ?
- Salut, capitaine Mourlin, répondit Gunsson. On fait ce qu’on peut, que voulez-vous ! A chaque âge ses plaisirs.
- On se balade ? questionna l’officier de la marine.
- Hé oui...
- Vous avez eu des ennuis de machine ?
- J’ai remplacé un de mes moteurs, comment le savez-vous ?
- Je sais tout, riposta l’officier, enjoué. Je suis là pour ça !... Vous êtes resté neuf jours à l’ancre, à Port-Cros, hein ?...
- Et vous n’êtes même pas venu me dire bonjour ! reprocha Gunsson. Je me demandais si vous étiez encore au CERES... (Centre d’essais et de recherches des engins spéciaux. Ce centre, installé à l’île du Levant, s’occupe de la mise au point des fusées de la Marine de Guerre française)
- Rien de changé, assura le capitaine Mourlin.
- Tant mieux pour vous. C’est un chouette boulot que vous avez là... Vous désirez sans doute faire une vérification à bord ?
- Pensez-vous ! s’esclaffa l’officier. Vous avez quatre passagers, des vivres pour trois semaines, deux caisses de scotch et douze bouteilles de vodka Smirnoff.
- C’est beau, le Deuxième Bureau de la Marine ! railla le capitaine Gunsson. Je vous signale toutefois que j’ai également douze paquets de cure-dents. Je me suis fait engueuler l’année dernière parce que je n’en avais pas à bord !...
- Quels sont vos projets ? s’enquit négligemment l’officier du contre-espionnage.
- J’attends les ordres. Il est question de faire une virée aux Baléares... Et vous ? Vos pétards, ça boume ? Les journaux font un drôle de tam-tam à propos de votre missile Matra R 530.
- Vous vous intéressez aux fusées ? ironisa l’officier.
- Et comment ! Mais ce n’est pas le côté balistique qui me passionne, c’est le côté boursier. Garrissoux m’a fait acheter vingt actions des « Engins Matra ».
- Vous êtes un sale capitaliste, capitaine Gunsson. Mais, entre nous, c’est un excellent placement, une bonne valeur de portefeuille. L’avenir est aux fusées, tout le monde sait cela.
- Je vous offre un godet ? avança Gunsson.
- Non, je voulais simplement vous serrer la main. Dites-moi, d’où sort-il, votre nouveau passager, le grand mec pâle qui vient de plonger derrière mademoiselle Sari ?
- J’en sais rien. C’est un gars dont les parents étaient jadis des clients de Garrissoux... Il est en convalescence, paraît-il.
- En convalescence de quoi ?
- Surmenage, dépression...
- Curieuse idée de mettre en tête à tête, sur un yacht, une fille comme Lila Sari et un homme fatigué. M’est avis que ça va l’achever, le pauvre !... Bon, Gunsson, à la revoyure !...
- Vous avez tort de vous presser, murmura Gunsson. Dans un quart d’heure, ma passagère va se ramener... C’est un spectacle qui vaut la peine.
- Merci, je suis blasé, grommela l’officier du Deuxième Bureau. Des femmes à poil, je vais en voir deux ou trois mille dans les semaines qui viennent. Et, vous savez, Gunsson, entre nous, j’adore déshabiller mes maîtresses, alors...
- C’est pour ça qu’on vous a nommé à l’île du Levant, je suppose ? plaisanta Gunsson.
- Qui sait ? fit l’officier.
Il redescendit l’échelle de corde, sauta dans la vedette.
Quelques instants plus tard, Frank Alderner s’amena d’un pas indolent vers Gunsson.
- Que raconte le Deuxième Bureau ? demanda-t-il, placide.
- Simple visite de courtoisie. Mais il m’a tout de même posé une question au sujet de nos projets, et il voulait savoir qui a invité Mazirac.
- Parfait, acquiesça Alderner, flegmatique.
Et il s’en retourna vers son scotch, sous la tente à rayures rouges.
Vingt minutes plus tard, Lila Sari escaladait l’échelle de corde. Ruisselante, essoufflée, les yeux brillants de plaisir, elle s’enroula dans sa couverture, secoua sa crinière et s’en alla dans sa cabine. Elle s’allongea sur son lit, ferma les yeux.
Un immense bien-être, succédant à l’effort, l’envahit.
Elle s’endormit d’un seul coup, comme une enfant qui a trop joué.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, le crépuscule plongeait la cabine dans une pénombre chaude. Yves Mazirac était là, en short, le torse nu, penché au-dessus de la table dont il avait fait basculer la tablette. Coiffé d’un casque d’écoute, il affichait une expression tendue, attentive, ce qui ne l’empêchait nullement d’observer à travers ses paupières mi-closes les genoux excitants de Lila qui, dans son sommeil, avait déplacé sans le savoir le drap blanc dont elle avait recouvert sa nudité.
La voyant réveillée, Mazirac lui fit un léger sourire, posa un doigt sur sa bouche pour lui faire comprendre qu’elle devait se taire.
Lila hocha la tête en signe d’acquiescement.
Elle savait qu’elle ne pouvait ni parler ni bouger à ces moments-là.
CHAPITRE II
Mazirac prolongea son écoute pendant un gros quart d’heure environ.