Depuis vingt minutes environ, Luigi Torreto tournait dans la pièce comme un lion en cage. Sous l’effet de la colère et de l’impatience, son lourd visage avait pris un aspect encore plus sinistre que d’habitude. Les poches qui soulignaient ses yeux globuleux paraissaient gonflées et bleuâtres.
Il se mit à jurer sourdement entre ses dents. Puis, pour maîtriser ses nerfs, il se contraignit à s’asseoir dans le vieux fauteuil qui se trouvait près de la fenêtre aux volets fermés.
Dehors, dans la ruelle, on entendait gémir le vent nocturne. Des bruits sournois et irritants peuplaient la nuit : une porte grinçait dans la cour, une barque mal attachée faisait clapoter l’eau du rio contre le quai, un chat en vagabondage secouait le lierre de la façade.
Torreto, incapable de dominer sa fébrilité, se leva. Il était petit et gros, mal habillé, chaussé de vieilles godasses qui craquaient de partout. Ses cheveux gris, à la fois frisés et hirsutes, accentuaient son air fatigué. gé de cinquante te-trois ans, il en faisait dix de plus. Son souffle était court, un peu rauque. Dans cette chambre minable, il donnait l’impression d’être un vieillard malade, une de ces épaves qui sont au bout du rouleau et qui traînent des jours tristes en attendant la fin.
Ces apparences étaient trompeuses, car, en réalité, Luigi Torreto avait une santé de fer et une vitalité de taureau.
Il se remit à déambuler en serrant les poings. Pour la vingtième fois, il regarda d’un œil rageur le cadran jauni du vieux réveille-matin posé sur la cheminée. Minuit trente-sept. Bientôt une heure moins le quart !...
Brusquement, il s’arrêta de marcher, l’oreille tendue. Il avait perçu un léger bruit à l’entrée de la cour. Était-ce une illusion ? A cause de cette saloperie de vent, c’était difficile de se rendre compte... Mais le bruit se précisa soudain : oui, on marchait dans la ruelle. Enfin !...
Malgré les précautions que prenait l’arrivant, le heurt de ses souliers résonnait sur les pavés de la cour. Mais le soulagement du gros Luigi ne dura qu’une fraction de seconde. Et son visage épais se contracta encore davantage. Les yeux mi-clos, il écouta les rumeurs de la nuit en fronçant ses énormes sourcils broussailleux. Lazzaro n’était pas seul.
Entre les hauts murs resserrés de la venelle, on distinguait maintenant les pas assourdis de deux personnes. Deux personnes dont la démarche avait un rythme différent. Et ces deux promeneurs nocturnes parlaient.
C’était absurde, mais c’était pourtant bien vrai. De furtives paroles, chuchotées en sourdine, arrivaient par bribes jusqu’à l’oreille de Torreto.
Il éteignit promptement la lumière, empoigna une couverture usagée qui traînait sur le lit, s’y enroula et se coucha. Quelques minutes s’écoulèrent. Puis une main prudente frappa quatre petits coups contre la porte. Torreto se leva.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il de sa voix rauque.
- Ouvre, Luigi. C’est moi, Lazzaro.
Torreto fit de la lumière, ouvrit le battant.
Les deux visiteurs se glissèrent dans la chambre et le gros Luigi referma.
Il y eut alors un moment étrange, un moment qui ne dura peut-être qu’une minute mais qui parut très long, très silencieux, très menaçant. Torreto dévisagea successivement Lazzaro et l’autre individu, un type d’une trentaine d’années, élégant, le teint bronzé, au regard cynique et un peu narquois.
Lazzaro était un homme entre deux âges, plutôt grand, maigre, d’allure modeste. Il y avait quelque chose d’obséquieux dans ses traits insignifiants et il faisait penser à un domestique. Ses cheveux châtain clair étaient fades ; son long nez, qui allait de travers, lui donnait un air penaud, ridicule.
- Nous sommes en retard, s’excusa-t-il, mais ce n’est pas ma faute, Luigi. Nous avons eu une longue discussion : notre ami Krister voulait absolument m’accompagner. Malgré les ordres, il tenait à te rencontrer personnellement. Je savais que tu serais furieux, mais je...
Ainsi mis en cause, Willy Krister coupa d’un ton assuré :
- Comme nous avons des choses importantes à mettre au point, j’ai estimé que votre éventuelle mauvaise humeur n’avait qu’un intérêt fort relatif, Torreto. Par conséquent, inutile de me faire la gueule, ça ne m’impressionne pas du tout.
Il soutint hardiment le regard courroucé de Luigi. Puis, désinvolte, il désigna une chaise d’un hochement de tête et demanda :
- On peut s’asseoir, oui ?... Je garde mon manteau, si vous le permettez. Il fait un froid de canard dans votre cambuse.
Sans attendre la réponse de Torreto, il prit place sur la chaise. Les deux mains dans les poches de son pardessus de tweed gris clair, il ramena sur ses genoux les pans du manteau. Dans la poche de droite, une bosse révélait la présence d’un pistolet tenu d’une poigne ferme.
Le gros Luigi proféra d’une voix assourdie, sarcastique :
- Du moment que la discipline et les consignes ne comptent plus, vous auriez tort de vous gêner...
Il alla s’asseoir sur le bord de son lit. D’un bref regard, il ordonna à Lazzaro de s’installer dans le vieux fauteuil.
- Je vous écoute, dit-il à Krister. Ne parlez pas trop haut, et le moins longtemps possible. Dans ces ruelles étroites, les bruits de voix forment écho. De plus, je ne suis pas censé recevoir des visites après minuit.
Willy Krister opina, se recueillit une seconde, posa son regard clair sur le visage sombre de Luigi et murmura :
- J’irai droit au but, Torreto. Je voulais vous voir pour vous parler affaires. Je ne suis plus satisfait de nos accords. Le coût de la vie augmente de jour en jour. Et si vous ne doublez pas mon salaire, c’est la dernière fois que je travaille pour vous.
Sur ces mots décisifs, le silence retomba. Un chat miaula plaintivement dans la cour.
Lazzaro, mal à l’aise, s’agita.
- Tu comprends, Luigi, commença-t-il sur un ton presque douloureux, notre ami Krister prétend qu’on l’exploite, que les plus gros risques sont pour lui et que ce...
- La ferme ! grogna Torreto en foudroyant Lazzaro d’un regard mauvais. Je n’ai pas besoin d’intermédiaires pour arranger mon boulot. Réserve ta salive pour les touristes.
Il se tourna vers Willy Krister.
- Moi aussi, j’irai droit au but, Krister. Il y a exactement quinze mois que vous avez été engagé par notre organisation, et c’est votre sixième mission que vous remplissez présentement. Vous aviez accepté ce poste de votre plein gré, je vous le rappelle. Vous étiez d’accord sur toutes les conditions. Il avait été convenu que vos appointements seraient ajustés au terme des deux premières années. Pourquoi ne respectez-vous pas vos engagements ?
- Parce que je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile, répondit Krister, sec.
- C’est-à-dire ?
- La personne qui m’avait contacté à Berne et qui m’a mis en rapport avec vous, avait parlé d’une entreprise clandestine d’informations commerciales. Vous admettrez que nous sommes loin de compte ! Ce bizeness, c’est de l’espionnage caractérisé. J’aime l’aventure et la vie libre, c’est entendu. Mais puisque je trempe dans des histoires aussi dangereuses que dégueulasses, je veux palper en conséquence. Vous voyez que je suis franc.
Le gros Italien eut un petit rire méprisant.
- Vous vous surestimez, Krister. Je sais que les Suisses ont toujours adoré le fric, et on m’a déjà prétendu qu’ils avaient les dents fort longues. Mais, franchise pour franchise, rien ne justifie votre revendication anticipée. En octobre, nous en reparlerons. D’ici-là, continuez bien sagement votre travail. C’est un excellent petit job que vous avez, croyez-moi.
- Ma décision est irrévocable, prononça le Suisse. Ou bien vous doublez mes primes, avec effet immédiat. Ou bien vous cherchez un autre agent de liaison. Mes prétentions sont parfaitement raisonnables, vous le savez fort bien. Un espion ne travaille pas au tarif d’un voyageur de commerce.
Luigi enchaîna, sardonique :
- Car vous vous prenez pour un espion ?
- J’appelle un chat un chat.
- Une boîte aux lettres, voilà ce que vous êtes ! riposta Torreto. Une boîte aux lettres ambulante, rien de plus. Et vous avez les plaisirs du voyage par-dessus le marché. Les trains de luxe, les palaces, les vêtements coûteux, le whisky dans les bars chics, tout cela aux frais de la princesse. De quoi vous plaignez-vous ?
Les traits de Willy Krister se durcirent imperceptiblement, mais c’est d’une voix égale, posée, qu’il questionna en dévisageant son interlocuteur :
- Dois-je déduire de votre ironie un peu lourde que vous n’êtes pas disposé à prendre cet entretien au sérieux, signor Torreto ?... Je ne suis pas un mendiant, et je ne resterai pas longtemps chômeur. Alors, soyez catégorique. Même si je ne joue qu’un rôle de boîte aux lettres, j’ai quand même une petite idée quant à la valeur des messages que je transmets. Dans le domaine des industries atomiques, les informations commerciales sont automatiquement et fatalement des informations stratégiques. Par ailleurs, vous savez que neuf fois sur dix, dans un réseau, c’est l’agent de liaison qui trinque. Si je me fais coincer au cours d’un voyage, vous ne serez pas dans le coup. Mais moi je ferai dix ans de prison, au mieux.
- Depuis janvier, trois confrères au moins se sont fait épingler en Europe. Un à Genève, un à Stockholm, un à Paris. Pourquoi ? A vous de me le dire, si vous pouvez !... Les services de contre-espionnage, ça existe. Et ça existe même dans tous les pays. Ne faites pas l’innocent, de grâce.
- Bon, soupira Torreto. Je ferai part de votre demande au grand patron. Quand désirez-vous avoir la réponse ?
- Rien du tout. Si vous ne me versez pas une double prime dès maintenant, je ne vous remets pas les documents que nos amis de Londres m’ont confiés.
- Mais, vous...
- Stop ! coupa le Suisse, résolu. Vous disposez sûrement d’une certaine autonomie de manœuvre. C’est dans la logique de votre rôle. Alors, à vous de jouer. C’est à prendre ou à laisser.
- J’ai des comptes à rendre, essaya de plaider l’italien.
- Bien sûr ! Mais soyez sans crainte : ON me comprendra en haut lieu. Et votre décision sera approuvée.
Vaincu, résigné, le gros Luigi se leva et se dirigea vers la commode qui occupait un des coins de la chambre. C’était un meuble qui devait avoir eu son heure de beauté, jadis, mais qui n’en avait rien conservé. L’acajou noirci et terni s’écaillait par places.
Le gros Italien s’agenouilla avec effort devant la commode, ouvrit le dernier tiroir, ôta plusieurs piles de magazines anciens, tâta la planche du fond, actionna une goupille et souleva le couvercle du faux fond.
Des liasses de billets de 10.000 lires apparurent. Torreto se mit à compter, rassembla une somme respectable qu’il déposa sur le plancher. Ensuite, avec un soin méticuleux, il camoufla sa cachette, remit les magazines en place, referma le tiroir, prit l’argent et se releva.
Willy Krister et l’autre Italien suivaient des yeux, en silence, les gestes pesants de Luigi. Ce dernier s’approcha du Suisse, en faisant claquer sur sa paume gauche les billets qu’il tenait dans sa main droite. Avant de donner la somme à l’agent de liaison, il prononça lentement :
- Mettons-nous bien d’accord, une fois pour toutes, Krister. Nous nous sommes rencontrés à deux reprises, mais il n’y aura pas de troisième, compris ? Ce soir, si je me suis incliné, c’est la faute de Lazzaro. Il n’aurait pas dû vous conduire jusqu’à moi. Désormais, il aura des ordres plus sévères. Et je vais changer d’adresse, à toutes fins utiles. Quand vous aurez encore des choses à mettre au point, comme vous dites, vous le ferez par la voie habituelle. En d’autres termes, vous donnerez un message à l’émissaire qui sera chargé de vous contacter.
Le Suisse arborait un petit sourire satisfait. Torreto continua sur le même ton pénétré :
- Pour le reste, je vous déconseille tout de même de vous faire des illusions. Le chantage est un moyen de pression particulièrement détestable, surtout à l’intérieur d’une organisation comme la nôtre... Votre salaire est doublé, c’est entendu. Et nous reverrons ce chiffre en octobre. Mais n’espérez rien d’ici-là.
- Nous sommes d’accord, acquiesça Krister.
- Voici votre argent. Donnez-moi les documents de Londres.
Le Suisse prit les billets de banque dans sa main droite, plongea sa main gauche dans la poche de son manteau et exhiba une enveloppe brune de format ordinaire.
- Voilà votre marchandise, dit-il.
Luigi saisit l’enveloppe, mais elle glissa entre ses doigts boudinés et il dut se baisser pour la ramasser. En se redressant, il se détendit comme un énorme ressort d’acier et il lança son poing droit, de bas en haut, avec une précision et une violence fantastiques, vers la figure de Krister. Les phalanges du gros Italien percutèrent comme un marteau-pilon le menton du Suisse, exactement à l’endroit du K.O. inévitable.
Sous l’action de cette masse frappante, le sourire de Krister se mua instantanément en une grimace sanglante. Assommé net, la gencive éclatée, les lèvres écrabouillées, le Suisse chancela. Mais Torreto le rattrapa d’une main et, avec une force herculéenne, le tint un moment debout. Puis, posément, il le laissa mollir tout en réglant la chute de façon à étaler le Suisse évanoui au milieu de la pièce, sans cogner les meubles.
Lazzaro s’était levé d’un bond, les yeux effarés. Luigi grogna à son intention :
- Bouge pas, toi !
Il fourra dans sa poche l’enveloppe brune qu’il avait reçue du voyageur, s’agenouilla contre sa victime, plaça ses deux mains autour du cou de l’homme inconscient, promena doucement ses deux pouces autour de la pomme d’Adam et les enfonça soudain dans la chair en y mettant le maximum d’énergie. Un léger ahan fusa entre les lèvres épaisses de l’étrangleur quand les vertèbres cervicales du Suisse craquèrent enfin. Willy Krister passa du coma à la mort sans s’en douter.
Luigi, avant de se remettre debout, tourna la tête vers son acolyte et le considéra d’une prunelle pensive.
- La prochaine fois que tu enfreindras la consigne, Lazzaro, dit-il finalement, je te ferai subir le même sort. Compris ?
- On a discuté pendant plus d’une heure, articula Lazzaro, terrorisé. Il ne voulait pas en démordre. Et comme le temps passait, j’ai cru bien faire. Je savais que tu attendais les documents.
- Ouais ! c’est comme ça qu’on introduit des moutons dans le réseau et qu’on se fait tous épingler.
- Il est mort ?
Luigi se releva, haussa les épaules.
- Naturellement. C’était la seule solution... Quand un gars se met à dérailler, faut trancher dans le vif immédiatement.
- On ne risque rien, tu crois ? Il était descendu au Danieli. Sa disparition va sûrement faire du pétard.
- Te tracasse pas. Tout a été prévu. Il voyageait toujours sous un faux nom et sans bagages compromettants. La police découvrira sans peine qu’il s’agissait d’un voyageur spécial. Ils connaissent la musique. Quand un type s’installe dans un palace et s’envole sans laisser de traces, ils ont vite pigé. Si on te questionne, fais l’idiot, tu ne sais rien.
- Je me suis arrangé pour qu’on ne nous voie pas ensemble.
- Tant mieux... D’ailleurs, si tu fais un effort pour exécuter mes ordres avec soin, tu n’auras jamais d’ennuis... Tu vas m’aider à évacuer ce colis.
Ils commencèrent par déshabiller complètement le mort. Ensuite, ils descendirent le cadavre dans la cave. C’était une cave qui devait dater de plusieurs siècles. Les murs avaient un mètre d’épaisseur, les voûtes arrondies du plafond étaient suintantes d’humidité.
Luigi, à la lumière d’une bougie, découpa alors, au moyen d’un rasoir et d’une petite hache de boucherie, la tête, les mains et les pieds du macchabée.
Cette horrible besogne, pour laquelle il avait enfilé des gants de caoutchouc, n’avait pas l’air de l’affecter beaucoup. Par contre, Lazzaro était livide.
Les pièces détachées furent enduites de formol et enfermées séparément dans de vieux sacs. Ces paquets, lestés de pierres, furent ensuite immergés par une trappe dans l’eau noire et sinistre du rio dont les eaux boueuses passaient sous la maison.
Luigi, au cours des soirs suivants, déménagerait les macabres colis et irait les enfouir dans la lagune, loin de la ville, dans des fonds de vase qu’il connaissait, et où personne n’irait jamais les chercher.
Le lendemain, après la tombée de la nuit, Luigi Torreto quitta sa vieille bicoque et s’en alla à pied, par un invraisemblable dédale de ruelles, vers la gare.
Le même vent aigre que la veille soufflait. Les rares touristes qui se trouvaient à Venise en cette fin de mars n’étaient pas gâtés. La vénérable cité des Doges, si belle et si fastueuse quand le soleil illumine ses palais et ses canaux, se montrait sous un aspect fort peu enchanteur.
Torreto, ayant enfin atteint l’église San Simeone, longea l’édifice, s’engagea sur le pont qui franchit le Canal Grande, se dirigea vers la Lista di Spagna. Ces parages, très animés d’ordinaire, étaient presque déserts. Seules les enseignes des cafés, des restaurants et des hôtels mettaient un peu de vie dans l’étroite rue bordée de boutiques.
Un peu avant San Geremia, Luigi tourna à droite. Entre les façades lépreuses des maisons, l’odeur fade de la lagune stagnait malgré le Vent.
Torreto pénétra sous un porche, traversa une cour, monta un escalier de pierre et frappa à une porte de chêne. Après un moment d’attente, le battant s’ouvrit. Une gamine d’une quinzaine d’années, aux yeux et aux cheveux très bruns, apparut.
- Bonsoir, signor Torreto, dit-elle.
- Le signor Mozzini est-il là ? s’enquit Luigi.
- Oui, entrez.
Il s’avança dans un couloir, déboucha dans une vaste salle où plusieurs jeunes femmes, toutes assez pauvrement vêtues, travaillaient autour d’une longue table encombrée de morceaux de tissus aux coloris chatoyants.
Ces ouvrières aux doigts habiles fabriquaient de minuscules poupées : gondoliers, marquises et Vénitiennes en miniature que les touristes emporteraient comme souvenir aux quatre coins du monde...
D’un bureau contigu, un homme d’une quarantaine d’années, grand, corpulent, jovial, aux cheveux d’un blond presque roux, se présenta pour accueillir le visiteur.
- Ah ! Ce brave Luigi ! s’exclama-t-il. Vous m’apportez de jolies choses ?
- Euh, oui, oui, dit Torreto en extirpant de sa poche un paquet.
- Venez donc me montrer ça, invita Mozzini.
Il introduisit Torreto dans son bureau et referma la porte. Le gros Luigi étala sur la table de Mozzini une série de petites broches d’argent serties de minuscules perles de verre.
Mozzini demanda à mi-voix :
- La liaison a été opérée comme prévu ?
- Oui, murmura Luigi, laconique. Voici le pli.
Il tendit une enveloppe brune à Mozzini, et il ajouta en baissant davantage encore la voix :
- Mais il faudra procéder au remplacement de Willy Krister. J’ai été obligé de l’éliminer...
- Ah ? fit Mozzini dont les traits ne reflétaient plus la moindre jovialité. Pourquoi ?
- Je vais vous expliquer, dit Luigi.
Il saisit une chaise, la planta contre la table et s’installa. Silvestro Mozzini, tout en décachetant l’enveloppe, se pencha pour écouter ce que Torreto allait lui raconter.
CHAPITRE II
Quand le gros Torreto eut fini de relater au signor Mozzini les événements qui avaient marqué la nuit précédente, il y eut un silence dans le bureau. A travers la porte capitonnée, on pouvait entendre, comme un écho très faible et très lointain, de jeunes voix féminines qui chantaient à l’unisson une rengaine à la mode.
Mozzini consulta sa montre et murmura :
- L’atelier va fermer dans quelques minutes. Nous serons plus à l’aise quand les filles seront parties. Restez ici, je vais m’occuper de la fermeture.
Luigi maugréa :
- Je croyais vous trouver seul. Vous travaillez jusqu’à neuf heures du soir maintenant ?
- C’est exceptionnel. Nous faisons des heures supplémentaires en vue du gros coup de feu des vacances de Pâques. Dans trois semaines, la ville sera pleine à craquer. Les agences annoncent un formidable afflux de touristes...
- Est-ce que vous avez vraiment besoin d’augmenter votre chiffre d’affaires ? grogna Torreto sur un ton de reproche.