Au cœur du monde il est une cité que l’on appelle Vienne-la-Belle...
La chambre était située au huitième étage, c’est-à-dire au sommet du building. Elle était rectangulaire, relativement spacieuse pour une seule personne. La lumière chaude de juin pénétrait à flots par les deux larges fenêtres qui donnaient sur une petite terrasse. Les meubles de série, strictement fonctionnels et sans confort inutile, avaient été briqués avec soin. La moquette grise n’était pas poussiéreuse, les tentures étaient nettes et le couvre-lit jaune pâle était propre.
En somme, une bonne chambre d’hôtel.
Accoudé à la rampe de fer de la terrasse, Francis Coplan rêvassait. De là-haut, il avait une vue plongeante sur la célèbre Kärntner Strasse, à gauche ; et, à droite, sur le Neuer Markt. Juste en face, il y avait l’imposant immeuble d’un autre hôtel, un établissement de grand luxe, où l’on apercevait de temps à autre, par une fenêtre ouverte, un valet de chambre en gilet rayé qui rangeait sans hâte les costumes d’un richissime touriste américain.
Coplan alluma une Gitane. Il venait d’arriver à Vienne et il se sentait vraiment d’humeur rêveuse.
De vieux souvenirs lui revenaient en mémoire. Il avait connu Vienne en des temps si durs, si tragiques, si déchirés qu’il ressentait une sorte d’émotion devant le spectacle de cette ville heureuse et calme qui semblait avoir retrouvé, après tant d’orages, son visage aimable, souriant, pétillant de malice et de jeunesse.
Un piano invisible jouait cette rengaine d’autrefois : « Au cœur du monde il est une cité que l’on appelle Vienne-la-Belle. » Était-ce la radio ou l’orchestre du restaurant ? Les notes du vieil air ruisselaient avec allégresse, évoquant l’immortel romantisme de cette ville qui ne pouvait pas oublier qu’elle avait été jadis la capitale d’un empire.
Dans un sens, Vienne est encore, de nos jours, la capitale d’un empire. Mais d’un empire sans fastes ni drapeaux, sans uniformes dorés ni cortèges rutilants. Sous son masque de gentillesse et de bienveillance, Vienne cache une réalité sinistre : tous les réseaux d’espionnage de l’univers y convergent, tous les services de renseignements y ramènent les mailles essentielles de leurs toiles d’araignées. L’Autriche, redevenue neutre et couverte de cicatrices mal guéries, est à moins de cinquante kilomètres du Rideau de Fer. Les deux blocs antagonistes qui gouvernent la planète ne cessent d’y envoyer leurs mystérieux et redoutables émissaires. Pour les agents secrets, Vienne-la-Belle est un no man’s land où il s’agit d’ouvrir l’œil.
Coplan tira une dernière bouffée sur sa cigarette, écrasa lentement le mégot sous sa semelle et, pensif, quitta la terrasse.
Sans se presser, il ouvrit sa valise et il accrocha son costume de rechange dans la penderie. Ensuite, après avoir posé ses chemises dans un des tiroirs de la commode, il prit sa trousse de toilette et il se rendit dans la salle de bains pour prendre une douche.
A 18 heures 55, il s’allongea sur le lit, près du téléphone qui se trouvait sur la table de chevet.
A 19 heures précises, la sonnerie tinta. Coplan décrocha le combiné. La voix suave de la standardiste questionna en français :
- Monsieur Coplan ?
- Oui, je vous écoute.
- M. Mizard vous demande à la réception. Faut-il le faire monter ?
- Non, je descends. Merci, mademoiselle.
Coplan ne put s’empêcher de sourire. Roger Mizard s’amenait au rendez-vous avec une ponctualité toute militaire : ni une minute trop tôt ni une minute trop tard. Les camarades issus du Deuxième Bureau étaient tous comme ça.
Roger Mizard était un grand bonhomme d’environ trente-cinq ans, osseux, au crâne dégarni, aux yeux d’un bleu mêlé de gris. Les traits assez épais, le nez fort, la bouche plutôt grande, le menton légèrement en galoche, il donnait une impression de placidité à toute épreuve. D’origine belge, ses amis du Service l’appréciaient surtout pour son courage, sa ténacité, son inaltérable bon sens.
Un vague sourire aux lèvres, il murmura en serrant la main de Coplan :
- Heureux de te revoir, Francis.
- Je ne pouvais manquer de te faire signe, répondit Coplan sur un ton affectueux. C’est bien aimable de ta part de te déranger pour moi, mais je serais désolé si je savais que je te fais perdre un temps précieux.
- J’ai peu de loisirs, mais un ami est un ami, rétorqua Mizard. Viens, ma voiture est à deux pas.
Coplan déposa la clé de sa chambre sur le comptoir de la réception et suivit son ami vers la sortie.
Ils débouchèrent sur le Neuer Markt, encombré de taxis en stationnement. Mizard avait garé sa DS grise sur la place même, près de la fontaine Donner.
Bien que le soleil eût entamé sa courbe descendante, il faisait encore une chaleur inattendue. De jeunes garçons en chemisette blanche se rafraîchissaient à la fontaine et observaient les pigeons peu farouches perchés sur les statues de bronze.
Les deux Français montèrent dans la DS grise qui démarra aussitôt.
- Nous avons une bonne heure de battement, annonça Mizard. Où veux-tu aller ?
- Peu importe.
- Si tu as soif, nous pouvons aller prendre un verre sur les hauteurs du Kahlenberg. C’est bien ta veine, tu tombes en pleine canicule !
- La grosse chaleur ne me gêne pas, dit Coplan.
- Moi non plus. Elle me rappelle mes trois années passées au Sénégal.
- Si ça ne t’embête pas, suggéra soudain Francis, allons plutôt au Prater. J’ai des souvenirs dans ce coin-là, et puis ça nous permettra de bavarder plus tranquillement.
- D’accord.
Quelques minutes plus tard, la DS franchissait le canal du Danube et enfilait la longue Prater Strasse qui conduit en droite ligne au Prater.
En revoyant la Grande Roue érigée à l’entrée du vaste et légendaire parc viennois, Coplan esquissa un sourire. Il raconta d’une voix un peu nostalgique :
- La dernière fois que je suis venu ici, c’était par une merveilleuse nuit de septembre. Je surveillais un zigoto dont les agissements intéressaient le Vieux... Le zèbre en question m’avait entraîné dans les parages de la Haupt Allee et je te jure que je commençais à me demander ce qu’il manigançait... En fait, je me suis rendu compte qu’il draguait tout bonnement la fillette ! Et il m’a infligé le spectacle de sa partie de jambes en l’air avec une gamine qui ne devait pas avoir plus de quinze ans. Le salaud !...
- Rien de changé, assura Mizard, goguenard. Si tu reviens à la nuit tombée, tu n’auras que l’embarras du choix. Les buissons sont accueillants et les gamines délurées. Pour cinq ou dix schillings, c’est le bonheur garanti. Car, en plus, les filles sont gentilles dans ce pays. Terriblement gentilles...
Et il conclut, après une pause :
- J’adore ce pays. La France mise à part, c’est le seul endroit où je pourrais me fixer si je ne pouvais plus voyager.
Ayant repéré une place libre dans un parking autorisé, il y rangea sa voiture et coupa le moteur.
Ils débarquèrent.
Sur l’esplanade, autour de la Grande Roue et près des buvettes, il y avait foule. Des touristes harassés, abrutis par leur longue journée d’excursion sous un soleil torride, prenaient le frais sur les bancs et regardaient d’un œil vide les jardiniers municipaux qui arrosaient les massifs fleuris. Dans l’allée principale, des provinciaux revenaient de la promenade escortés de leur marmaille ; les femmes en robes légères marchaient d’un pas alangui, et les plus potelées d’entre elles avaient de grands cercles de transpiration aux aisselles.
Coplan et Mizard se dirigèrent vers le sous-bois. Lorsqu’ils furent seuls dans un sentier peu fréquenté, Mizard relança la conversation.
- Je suppose que tu désires principalement des tuyaux concernant Herr Bruno Kreits ?
- Bien entendu, acquiesça Francis.
- C’est un gars intéressant. Il a 54 ans et il sort de l’Université de Vienne où il a enseigné l’économie politique pendant un quart de siècle. Il est originaire de Zellendorf, un petit patelin proche de la frontière tchécoslovaque. Compétent mais effacé, il s’est toujours tenu à l’écart des postes spectaculaires et des situations de premier plan. Il a refusé au moins dix fois d’être ministre, ce qui ne l’empêche pas d’être une sorte d’éminence grise du gouvernement. Il se dit indépendant et neutre, mais les initiés prétendent que c’est un homme de Moscou, ce qui est peut-être vrai. Cependant, à mon avis, sa position est plus nuancée, plus subtile. Je suis persuadé qu’il entretient d’excellents rapports avec Bonn. D’ailleurs, je...
- Minute, coupa Coplan, le front soucieux. Si cela ne te fait rien, nous reparlerons de Kreits en temps opportun. Commençons par le commencement... Le premier point qui m’intrigue et que je voudrais éclaircir, c'est ma désignation. Le Vieux m’a certifié que le message de Bruno Kreits mentionnait bel et bien mon nom, écrit noir sur blanc, avec mon prénom et ma date de naissance pour éviter toute confusion de personne.
- C’est exact, c’est moi qui ai transmis ce message.
- Ce détail ne t’a pas surpris ?
- Non, pas le moins du monde. J’ai supposé que le Vieux avait cité ton nom dans sa demande d’informations.
- Justement, non, rétorqua Francis. La demande d’informations adressée par le Service était rigoureusement anonyme.
- Sans blague ? Le Vieux a dû sauter en l’air, j’imagine ?
- Penses-tu ! Tu connais le Vieux, rien ne l’épate. Mais moi, j’aimerais savoir.
- Écoute, ce n’est pas compliqué, je vais te raconter comment cela s’est passé. Il y a une dizaine de jours, Kreits me téléphone et me demande d’aller le voir à son bureau de la Fédération des Chambres de Commerce... Tu sais que je suis ici en qualité d’assistant technique attaché à la délégation du Marché Commun. C’est ma couverture. L’Autriche s’efforce depuis trois ans d’entrer dans le Marché Commun mais les Soviétiques s’y opposent et mettent des bâtons dans les roues... Bref, je me rends chez Kreits. Je l’avais déjà rencontré trois ou quatre fois au hasard des réunions de travail et son coup de fil ne m’avait pas étonné. Nous avons parlé boutique pendant une demi-heure, puis, au moment où je m’apprêtais à prendre congé, il me montre une enveloppe posée sur sa table et il me dit d’une voix nettement plus confidentielle : « On m’a confié un message secret destiné à la direction du service de documentation extérieure de la Présidence du Conseil à Paris. Voulez-vous avoir l’amabilité de vous charger de la transmission de ce document ?... » J’accepte, naturellement, et il m’explique alors qu’il s’agit d’une réponse à une demande formulée par Paris au sujet d’une organisation clandestine allemande. Là-dessus, il me donne lecture du message, glisse le document dans l’enveloppe et me tend le pli en souriant... Mets-toi à ma place, je n’ai rien vu d’insolite dans cette affaire. La procédure est courante et j’étais convaincu que c’était le Vieux lui-même qui avait avancé ton nom dans sa demande d’informations.
- Ce n’était pas le cas, je te le répète.
- Mais alors, l’attitude du Vieux est plutôt bizarre, non ?
- Il m’a convoqué et il m’a annoncé : « J’ai des nouvelles concernant l’affaire Koniatis. Un certain professeur Bruno Kreits vous invite à lui rendre visite à Vienne. Il vous invite personnellement, vous, monsieur Francis Coplan... Tenez, voyez son message...
Mizard eut un bref accès d’hilarité.
- Sacré Vieux ! s’esclaffa-t-il. J’entends d’ici son ricanement...
Ils marchèrent un moment en silence, puis Mizard reprit :
- Le mieux, c’est d’interroger Kreits lui-même pour élucider ce mystère. Tu trouveras bien le moyen de lui parler en tête à tête tout à l’heure. Au besoin, si cela ne s’arrange pas, je lui téléphonerai demain.
- Non, laisse tomber, je préfère me débrouiller seul. Le Vieux m’a recommandé de ne pas te mouiller inutilement dans cette histoire.
- Ce Koniatis dont il est question, c’est bien le type qui s’est fait assassiner avec sa maîtresse en Amérique du Sud il y a quelques mois ?
- Oui, Antoine Koniatis, l’ancien directeur des marchés spéciaux de l’Etat au ministère des Affaires économiques.
- Il a été abattu par des gangsters qui avaient besoin de fric, si j’ai bonne mémoire ?
- C’est la version qui a été publiée dans les journaux, mais la vérité est moins simple et moins rassurante. Koniatis et sa secrétaire ont été froidement liquidés par des tueurs appartenant à la Geheime Legion (Légion Secrète), une organisation anti-communiste internationale. Koniatis s’occupait de grosses combines d’import-export au profit des pays de l’Est. Grâce à ses relations, il parvenait à leur fournir par des voies plus ou moins clandestines, plus ou moins légales, des métaux rares et des matières stratégiques.
- Il opérait au nom de la France ?
- Non, à son nom personnel. Il avait quitté l’administration et il gagnait des fortunes au nez et à la barbe des autorités internationales.
- A quel titre le Vieux s’intéresse-t-il à cette affaire criminelle ?
- La maîtresse de Koniatis était une fille du Service, une débutante que le Vieux venait d’engager à l’essai. Et c’est moi, figure-toi, qui étais le parrain de cette jeune collègue. C’est moi qui l’avais fourrée dans les bras de Koniatis...
Mizard esquissa une grimace consternée.
- Je comprends... Tu te sens un peu responsable de sa mort ?
- Le comble, c’est que je me trouvais sur place, à Montevideo, pour superviser le comportement de ma protégée (Voir : " Coplan revient de loin »).
- Tu n’as rien pu faire ?
- Non, hélas !... Je me tenais dans la coulisse, forcément, et je n’ai même pas vu arriver la catastrophe. J’ai d’ailleurs frôlé le désastre moi-même. J’ai tiré un mois de taule là-bas... Et j’y serais resté vingt ou trente ans sans l’intervention de mes amis américains.
Mizard s’arrêta, regarda Coplan d’un air pensif.
- Au fond, dit-il, tout s’explique. Certaines personnes bien placées ont dû être informées de ta mésaventure en Uruguay, et c’est pour cette raison que ton nom a été stipulé dans le message que Bruno Kreits a transmis au Vieux. Il y a donc une relation de cause à effet, une relation logique.
- Pas si logique que ça, maugréa Francis. Je n’ai rien contre le principe des vases communicants, mais je voudrais bien savoir de quelle manière les services spéciaux autrichiens s’y prennent pour consulter les dossiers confidentiels de la Sûreté Militaire uruguayenne !
- Kreits te le dira peut-être ? supputa Mizard.
- Je compte bien l’interviewer à ce sujet. Et maintenant, c’est le moment de me raconter ce que tu sais sur lui...
Il était un peu plus de vingt heures lorsque Coplan et Mizard arrivèrent au siège du Bureau de Presse de l’A.I.C.C. (Association Intercontinentale des Chambres de Commerce) où avait lieu, sous l’égide de la Bundeskammer, un cocktail organisé en l’honneur d’un groupe d’industriels canadiens.
La réunion se tenait dans une vaste salle située au premier étage d’un bel immeuble ancien de la Herrengasse, non loin du Burgtheater. Un buffet bien garni avait été dressé dans le fond de la pièce et des serveurs en habit distribuaient le champagne, le whisky et le vin blanc du pays.
Une centaine d’invités bavardaient amicalement sous les lambris dorés.
Le président de la Chambre de Commerce Fédérale prononça une courte allocution pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs, et le chef de la délégation canadienne remercia par un petit speech teinté d’humour, plein d’optimisme pour l’avenir des relations commerciales austro-canadiennes.
Après quoi, le brouhaha des conversations reprit de plus belle. Comme d’habitude, tout le monde parlait en anglais.
La coupe de champagne à la main, Coplan et Mizard échangèrent des propos de circonstance en attendant les événements.
Une douzaine de jeunes femmes élégantes jouaient les hôtesses d’accueil et circulaient parmi l’assistance, facilitant les contacts, faisant les présentations. C’est l’une d’elles, une ravissante blonde aux yeux bleus, qui s’approcha des deux Français.
- Monsieur Mizard, si je ne me trompe ? dit-elle à mi-voix, en français, au compagnon de Coplan.
- Oui, c’est moi, acquiesça Mizard.
- Le professeur Bruno Kreits serait heureux de vous dire un mot si vous vouliez le rejoindre dans le petit salon, tout au fond de la salle, à main droite quand on regarde le buffet.
Elle tourna les yeux vers Francis.
- Monsieur Coplan, sans doute ?
- Exactement.
- Cela ne vous dérange pas d’accompagner M. Mizard pour rencontrer le professeur, j’espère ?
- Vous me le demandez si gentiment, susurra Francis, galant et ironique, en dévisageant la jeune femme.
Elle ébaucha un sourire étrange, secoua ses jolis cheveux blonds.
- Merci, dit-elle en s’éloignant vers un autre groupe d’une démarche souple, sinueuse, un peu provocante.
Elle se retourna une demi-seconde plus tard, mine de rien, et ne parut pas mécontente de constater que Coplan, qui l’avait suivie du regard, reluquait d’un œil connaisseur ses longues jambes galbées et ses formes féminines discrètement mises en valeur par la robe d’été qu’elle portait, une robe blanche, courte et légère.
Coplan demanda à Mizard en remuant à peine les lèvres :
- Qui est cette souris ?
- Je n’en sais rien, c’est la première fois que je la vois. Mais ne t’énerve pas, le professeur Kreits nous attend dans le petit salon.
- Eh bien, allons-y, décida Francis.
Ils se dirigèrent vers le buffet, déposèrent leur coupe vide sur la table et s’avancèrent vers le petit salon contigu.
CHAPITRE II
Grâce à la description que Mizard lui avait faite, Coplan identifia instantanément le professeur Bruno Kreits. C’était un homme de petite taille, au visage austère, aux cheveux noirs encore drus, aux yeux bruns enfoncés dans des orbites que surmontaient des sourcils épais.
Malgré la canicule et l’aimable débraillé estival des visiteurs canadiens, le professeur viennois était tiré à quatre épingles : complet sombre, cravate grise, col dur. Comme l’avait dit Mizard : « le genre pion constipé ».
Kreits n’était pas seul dans le petit salon tranquille. Il bavardait à mi-voix avec un énorme gaillard au crâne chauve, en costume gris clair, au faciès lourd et aux yeux ronds.
En voyant apparaître Mizard et Francis. Kreits fit un pas vers eux. Il s’adressa à Mizard en allemand :
- Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation. Quelle pénible corvée, n’est-ce pas, ces cocktails officiels ? Je suis désolé de vous faire perdre une si belle soirée d’été...
Le professeur autrichien tenait dans sa main droite un verre de scotch auquel il n’avait visiblement pas l’intention de toucher. Il avait d’ailleurs le physique d’un buveur d’eau.
Mizard présenta Francis :
- Mon compatriote, Monsieur Coplan, agent technique au ministère français de l’Intérieur.
Kreits, qui avait changé son verre de main pour accueillir Mizard, serra également la main de Francis.
- Enchanté de faire votre connaissance, Herr Coplan. Permettez-moi de vous présenter un de mes bons amis, le Dr Alfred Brücker, inspecteur de l’A.Z.K.W. de Leipzig...
Le géant aux yeux ronds, un sourire affecté aux lèvres, tendit à Francis une énorme patte aux doigts boudinés. Par un étrange caprice de la nature, cet homme qui n’avait plus un seul cheveu sur la tête avait des mains velues comme les cuisses d’un ours.